Économie

Myret Zaki: «C’est la fin du miracle bancaire suisse»

20.03.2023 20h25 Rédaction

La journaliste économique analyse des raisons de la débâcle Crédit Suisse, de ce rachat et de ses conséquences. Peut-on vraiment parler d’une situation sous contrôle? Interview.

«Tout a commencé en octobre dernier par des rumeurs sur le bilan de Crédit Suisse (CS). Les taux d’intérêt avaient commencé à remonter de manière très forte. Et des banques comme CS, qui ont des livres exposés au shadow bancking, à toute la finance spéculative, sont exposées en première ligne», explique la journaliste Myret Zaki. Elle pointe un système financier qui «ne peut pas supporter la remontée des taux d’intérêt» et qui a fragilisé la banque. «On a assisté à un épisode très agressif de spéculation, de ventes à découvert, de propagations de rumeurs. Toutes les informations sortaient à une vitesse frénétique, il y avait chaque fois même hors bourse de l’activité sur le titre, sur les dérivés de crédit.»

La classe politique s’en est prise au management de CS et pointe un certain amateurisme. «On parle d’une décennie perdue pour CS, au cours de laquelle son cours a plongé de 90%. La banque ne s’est plus développée aux États-Unis, il y a eu des affaires d’évasion fiscale, il y a des séries de edge funds, etc. À tous les niveaux, cela ne jouait pas. Les managers ne sont pas sanctionnés (…) et personne n’a pris de responsabilité. Du fait de la concurrence avec d’autres banques, les bonus continuent à être élevés. CS veut continuer à attirer des gens, mais ils ne performent pas.»

«Une économie à deux vitesses»

Aujourd’hui pourtant, c’est la Confédération et la BNS qui apportent des garanties et donc, indirectement, le contribuable. «Les 100 milliards de la BNS, c’est de la création monétaire, c’est mauvais pour la réputation du Franc suisse, ça dévalue l’épargne et le pouvoir d’achat de nos salaires. Les 9 milliards de la Confédération, s’ils sont donnés suite à des pertes, ils seront donnés et ça, c’est de l’argent public, explique la journaliste. Ensuite, la casse sociale, ce ne sont pas les contribuables qui payent toutes ces mises au chômage?» Justement, cet évènement rappelle le sauvetage de l’UBS en 2008 par la Confédération. Pour Myret Zaki, le problème est législatif: «On a exigé des fonds propres élevés, or CS les a! Il y a un risque systémique en dehors de ça, avec la spéculation invisible, qui n’est pas surveillée adéquatement. Il faut une surveillance coordonnée entre toutes les autorités, (…) car c’est là que les plus grands risques se concentrent.»

La journaliste tacle, au passage, «l’économie à deux vitesses», avec d’un côté, les très grands acteurs qui sont sous-tutelle implicite de l’État et les contribuables de l’autre. «Il faut absolument un retour sur le soutien public permanent et l’assurance à la baisse qui sont offerts.»

Nouveau propriétaire, UBS a été attaqué spéculativement dimanche soir hors bourse, avant d’osciller ce matin. «Une banque qui émerge avec 5’000 milliards d’avoirs sous gestion d’ultra-riches, c’est une valeur et des gens veulent détenir ça», rassure Myret Zaki. La journaliste note que l’UBS est une banque solide, qui doit toutefois encore gérer la banque d’affaires de CS. «Les conséquences seront plus dures pour la place financière suisse, relève-t-elle. Elle va se diriger vers une sorte de normalisation, c’est la fin du miracle bancaire suisse. Il n’y aura pas de champion, à part l’UBS. La place financière sera surtout associée au private bancking, à la gestion de fortune.» La fin d’une époque, où la Suisse pouvait rivaliser avec d’autres places financières mondiales.