Genève

Affaire Fischer: les derniers courriels gardés secrets enfin révélés

11.09.2023 09h55 Jérémy Seydoux

SCHWEIZ GENF PRESSEKONFERENZ ARBEITSGERICHT UBER

Le compagnon de Fabienne Fischer était informé des dossiers sensibles de l‘État et l’ex-ministre connaissait les risques, voilà ce que révèlent notamment les courriels et agendas de la troisième fonctionnaire soupçonnée d’avoir œuvré à la campagne de réélection de la conseillère d’État. Ils décrivent aussi comment cette employée de l’administration s’est impliquée dans des dossiers personnels et étrangers au département. Ils évoquent enfin des frictions au sein du ticket de la gauche.

En fin d’article, Léman Bleu met à votre disposition un lien pour télécharger les fameux documents.

Les dernières oppositions ont été levées. La chargée de mission, défendue par Me Robert Assaël, a finalement consenti à remettre courriels et agendas demandés par le député MCG Daniel Sormanni et son avocat Me Romain Jordan. Les documents tendent à indiquer qu’au même titre qu’Esther Mamarbachi et un porte-parole du département, cette chargée de mission a été mise à contribution pour la réélection de la Verte. 

Tous sont membres de l’administration. Si la chargée de mission est aujourd'hui à la retraite, les deux autres sont encore en poste au DEE, aujourd’hui présidé par Delphine Bachmann. 

Tout-ménage pour les Lancéens

Que disent ces nouveaux documents? Au fil des 113 pages, la chargée de mission apparaît, comme ses collègues au cœur de nos premières révélations, impliquée dans la campagne électorale. Sans surprise et hormis quelques nouveautés, elle figure dans la plupart des échanges déjà dévoilés en août par Léman Bleu. 

Au menu des activités : suivi du planning de la campagne, rédaction des programmes et des réponses aux questionnaires en lien avec les élections, écriture de textes pour le site Internet de la candidate, écriture d’un script pour un clip de campagne, réflexion autour des prospectus politiques et échanges nourris autour du choix des photographies électorales: «M., qu’en penses-tu ?», demande Fabienne Fischer à la collaboratrice.

On apprend que la chargée de mission est notamment sollicitée pour un «Tout-ménage» à destination des habitants de Lancy. Elle rédige aussi un texte encarté dans le flyer de l’union de la gauche et publié sur le site internet personnel de l’élue: «J’ai fait quelques débuts de propositions […] Je suis à nouveau dispo dès 17h». 

«On pourra également travailler en binôme ou trinôme à la formulation de micro textes pour le site Internet», écrit encore Jean Rossiaud le compagnon de la conseillère d’État, abondamment présent dans les discussions. 

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Différend avec Thierry Apothéloz

Elle est également mise en copie d’un mail que l’ex-conseillère d’État adresse à sa présidente de parti Delphine Klopfenstein-Broggini. Il y est question de la place de Fabienne Fischer sur les différents supports de communication, sa position sur la liste qu’elle ne juge pas «équilibrée» et d’un différend qui l’oppose à l’un de ses colistiers «qui se met très en avant», vraisemblablement le Socialiste Thierry Apothéloz, tête de liste à gauche. «C’est toi qui dois être la première, tu es femme et sortante !», plaide la présidente des Verts. Au-delà de ces querelles politiciennes, que fait une collaboratrice de l’État en copie de ces courriels?

Douzaine de coaching pour les débats 

La chargée de mission est aussi mise à contribution pour la préparation des débats médiatiques en lien avec les élections. Pas moins de 5 séances «préparation débat» figurent à son agenda. Elles complètent la dizaine de séances de coaching pilotées par Esther Mamarbachi. En tout, les différents débats électoraux radio, TV et presse écrite auront mobilisé des employés de l’État pour une douzaine de séances d’une à parfois deux heures entre février et avril 2023. 

La ligne rouge a-t-elle été franchie? Au sein de l’administration, un collaborateur ne peut être mis à contribution pour des missions d’ordre privé, en particulier des tâches en lien avec la campagne personnelle d’un magistrat. La justice doit faire la lumière. Tous les protagonistes de l’affaire sont présumés innocents. 

Fabienne Fischer au courant des risques

En revanche, les limites entre public et privé semblent connues au sein du staff départemental et font l’objet de discussions internes. Alors que Fabienne Fischer transmet à son équipe un courriel de la plateforme Smartvote, accompagné d’un «Encore des devoirs à faire ;-)», quelqu’un répond: «Qui s’en occupe, c’est très campagne, non?». Le compagnon de la magistrate Jean Rossiaud est en copie: «Oui, je pense que c’est plus campagne personnelle que campagne institutionnelle, indéniablement.»

Une surprise accentuée par un document inédit que Léman Bleu a pu consulter. Le 24 février 2022, Fabienne Fischer adresse aux députés verts une «information factuelle», peu après la nomination d’Esther Mamarbachi comme porte-parole du département. À l’époque déjà, observateurs et journalistes s’interrogent sur la véritable nature de cet engagement. 

«Le cahier des charges de Mme Mamarbachi correspond à celui de son prédécesseur. À ce titre, elle exécutera les tâches usuelles de tout responsable de communication d’un département.»

«Elle n’exercera aucune tâche de type «conseillère personnelle», contrairement à ce que mentionne l’article de la Tribune de Genève […] Il n’y a aucun risque de «mélange des genres» entre communication départementale et campagne électorale.» À la lumière de nos révélations, cette promesse n’a manifestement pas été tenue.

SCHWEIZ GENF PRESSEKONFERENZ ARBEITSGERICHT UBER L'ex-journaliste de la RTS Esther Mamarbachi a rejoint le département de Fabienne Fischer en mars 2022 comme porte-parole. (KEYSTONE / Salvatore Di Nolfi)

Jean Rossiaud informé de «sujets à risque» internes à l’État

En parallèle de la problématique des courriels liés à la campagne électorale, une curieuse discussion surgit de ces échanges. Le 10 février 2023, l’une des deux co-cheffes de cabinet de Fabienne Fischer écrit à la chargée de mission dans un contexte délicat, celui de la mise à l’écart d’un très haut fonctionnaire: 

«Voici les sujets "à risque" évoqués ce matin: 

  • Secrétaire général DEE - une réponse à la question urgente écrite sera donnée au Grand Conseil les 2-3 mars 
  • Sur la personne de [nom caviardé] 
  • Le salaire minimum dans le tissu associatif.

De plus […] il a été identifié de capitaliser sur le vote de la modification de la LIRT au prochain Grand Conseil (exclu avec un journaliste?).»

Cet échange porte sur des informations a priori confidentielles, personnelles et internes au département. Lorsque ce courriel est rédigé, le public n’est pas encore informé de la situation du Secrétaire général du DEE. Ce n’est que trois jours plus tard que la RTS révèlera que le numéro 2 du département est débarqué par Fabienne Fischer «car la mayonnaise n’a pas pris». Dès lors, que fait Jean Rossiaud en copie de ce mail? Auquel ce dernier va même répondre: «Merci. C’est bien noté.»

«Ma cliente n'a rien à se reprocher»

L'avocat de la chargée de mission, Me Robert Assaël, réagit: «Ma cliente est sereine, n’ayant rien à se reprocher, tant sur le plan administratif que pénal. En effet, les mails ne sont pas critiquables, ce d’autant moins qu’elle ne travaillait qu'à 50% pour l’État.»

«Ma cliente avait fait opposition, car elle voulait éviter que tout procès se fasse sur la place publique, à l’emporte-pièce et à coup d’annonces sensationnelles et attentatoires à son honneur, avant que le Procureur général n’ait instruit le dossier. Suite à la décision du Département de transmettre les documents, elle n’a pas voulu s’engager dans une longue et coûteuse procédure de recours, souhaitant aller de l’avant.»

De son côté, le député MCG Daniel Sormanni ne décolère pas: «Je regrette le temps mis à nous répondre. Si la chargée de mission ne craignait rien, pourquoi s’est-elle opposée? Le contenu des e-mails révélés est édifiant à bien des égards; il démontre que le contribuable a payé une partie au moins de la campagne électorale de Mme Fischer. En évaluant à la louche le temps consacré, j’estime à au moins 60’000 francs la charge reportée sur le contribuable. Ce montant va-il être remboursé ?»

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«Attaques gravement biaisées»

Peu après l’éclatement de l’affaire Fischer, l'ex-magistrate, défendue par Me Robert Cramer, s‘est exprimée dans un texte publié tel quel par la Tribune de Genève. Elle y dénonce notamment «une succession de séquences de communication savamment orchestrées» qui viseraient à la discréditer. Elle rappelle: «éthique et probité m’ont toujours guidée».

Son compagnon, Jean Rossiaud, est conseillé par Mes Guglielmo Palumbo et Gabrielle Peressin. Ces derniers déclarent: «Il suffit de rappeler que la situation du Secrétaire général du DEE a été soulevée au Grand Conseil le 27 janvier 2023 pour comprendre que les attaques visant notre mandant sont, une fois encore, gravement biaisées et proférées au mépris des faits. Ces nouveaux courriels ne font en réalité que confirmer que M. Jean Rossiaud a soutenu la campagne électorale de Mme Fabienne Fischer dans le souci constant de séparer les rôles et d’agir dans le plus strict respect des lois.»