Genève

Des mandats accordés par le département d’Antonio Hodgers interpellent

04.10.2023 18h01 Jérémy Seydoux, Denis Palma, Michel Thorimbert

SCHWEIZ WAHLEN 2023 GE STAATSRAT GROSSRAT le Vert Antonio Hodgers, le 2 avril 2023 à Uni Mail.

Un député vert mandaté pour 113’000 francs et des sommes supérieures à 250’000 francs accordées sans appel d’offres à une douzaine de sociétés: des pratiques au sein du département de l’actuel président du gouvernement interrogent. Léman Bleu a consulté la liste confidentielle qui détaille comment sont dépensés les 100 millions des mandats externes confiés par l’État. 

100 millions, c’est la valeur des mandats externes accordés par l’État de Genève en 2022. Ils figurent sur une liste confidentielle que Léman Bleu a pu consulter, établie sur demande de la commission des finances du Grand Conseil, à la suite de nos révélations sur l’ex-magistrate Fabienne Fischer. 

Qui dépense le plus? En tête, le département du territoire, avec 30 millions de francs. Suit le DIP, 23 millions. En bas du classement, on retrouve les services de la Chancellerie, 1,5 millions. Ainsi que les départements des finances, de l’économie et du social avec 3 millions chacun. 37 millions sont encore répartis entre le numérique, la sécurité, la santé et les transports, aujourd’hui dans une nouvelle configuration départementale. 

Une première liste, dévoilée par le Matin Dimanche, n’était pas assez précise aux yeux des députés. Les modalités d’attribution de chaque mandat n’étaient pas expliqués. Les services du Vert Antonio Hodgers n’avaient par ailleurs justifié aucune ligne de dépense. Depuis, des compléments ont été fournis. Voici ce qu’ils révèlent. 

Un député vert a touché 113’000 francs

Première interrogation, un mandat de 113’000 francs accordé par le département d’Antonio Hodgers au député de son propre parti, David Martin. L’élu est ingénieur en environnement indépendant depuis janvier 2022 et a été missionné pour «du partage d’expériences eau en ville» la même année. Inférieur à 250’000 francs, le mandat a été octroyé sans appel d’offres, en gré à gré.

Membre de la commission de l’aménagement, du logement et des travaux, le député est, en théorie, censé contrôler les politiques publiques menées par le conseiller d’État. Favoritisme? Conflit d’intérêt? Ce député est-il financièrement dépendant du département du territoire? 

«Je ne suis pas dépendant financièrement du DT»

Il nous répond par écrit: «Cela fait 16 ans que, d’abord en tant que collaborateur au sein de plusieurs bureaux d’étude et à mon compte, je réalise des mandats spécialisés pour les collectivités genevoises et romandes […] Ce mandat s’inscrit dans la continuité de travaux initiés lorsque j’étais encore en bureau d’étude.»

«J’ai la chance de travailler régulièrement pour d’autres clients publics ou privés et je ne suis donc pas financièrement dépendant du DT, ni de l’administration cantonale en général.»

«Il n’y a pas de lien direct entre ce mandat et les objets que j’ai eu à traiter dans mes commissions parlementaires.» Si tel venait à être le cas, David Martin promet de se récuser. 

Appel d’offres pas systématique

Mais nos recherchent s’étendent à d’autres mandats. Après analyse des dépenses de l’ensemble des départements, tous indiquent procéder à un appel d’offres pour les montants qui dépassent 250’000 francs. Tous, sauf celui d’Antonio Hodgers. 

Nous avons répertorié 12 mandataires qui, en 2022, ont reçu des sommes allant de 280’000 à 500’000 francs pour une série de mandats accordés sans appel d’offres. Comment l’expliquer ? 

Sollicité en conférence de presse cet après-midi, le président du Conseil d’État, Antonio Hodgers botte en touche: «Nous devons analyser la situation par rapport aux demandes de presse qu’il y a dans tous les départements et nous vous reviendrons en temps voulu. Je ne sais même pas de quels mandats vous parlez.» 

282’000 francs pour l’animation de tables rondes

Parmi les douze mandataires qui interrogent, figurent deux entreprises qui ont particulièrement retenu notre attention. 

La première, une société audiovisuelle basée à Cossonay, dans le canton de Vaud. 297’000 francs accordés sans appel d’offres pour sonoriser et assurer la captation vidéo de quatre événements ainsi que des prestations en lien avec des «concertations et des ateliers». 

Autre curiosité, une deuxième société, qui intervient sur les mêmes événements. Une Sàrl, composée de deux personnes, dirigée par un ancien journaliste. 282’000 francs pour «l’organisation et l’animation de la concertation sur plusieurs manifestations». L’homme en question est domicilié à Annemasse, sa société n’a pas de bureau, mais une simple boîte aux lettres en Vieille-Ville, enregistrée auprès d’une entreprise de domiciliation. 

«Monsieur Hodgers ne fait pas partie de la chaîne de validation»

À quoi riment ces mandats? Sollicité par e-mail, le département d’Antonio Hodgers finit par nous répondre. Il dit réserver ses réponses aux députés, mais précise via sa porte-parole Pauline de Salis: «Pour les deux mandats, il s’agit de marchés différents. Les montants n’ont pas été accordés pour un seul mandat, mais bien pour différents projets. Pour le surplus, M. Hodgers ne fait partie de la chaîne de validation.»

La Cour de Comptes pourrait enquêter

Route de Chêne, siège de la Cour des Comptes, gendarme de l’administration. Sophie Forster Carbonnier, préside ce collège de magistrats. Elle est membre des Verts. Elle a aussi reçu copie de cette liste de mandats, mais ne se prononce pas sur des cas particuliers. 

Quelles sont les règles encadrant les marchés publics? «Si le montant total dépasse 250’000 francs dans une procédure de gré à gré, on est hors des clous et il aurait fallu faire un appel d’offres», assène-t-elle. 

De nombreuses questions restent ouvertes. En l’état, notre analyse des dépenses des autres département n’a pas suscité d’interrogations particulière. Mais la commission des finances du Grand Conseil poursuit son travail. Elle pourrait bénéficier de l’appui de la Cour des Comptes, fort bien outillée pour ce genre d’investigations. Affaire à suivre.