Genève

«Je n'aiderai plus jamais la justice genevoise»

15.04.2024 18h43 Sascha Buchbinder (SRF), Julie Zaugg

ministère public

Retour sur les révélations de nos confrères de la télévision suisse alémanique et une histoire rocambolesque. Un témoin algérien a aidé la justice genevoise à élucider une affaire importante. Mais aujourd’hui, l’homme est menacé de mort et le Ministère public genevois, qui avait requis sa protection, a fini par l’abandonner. Léman Bleu vous propose une version en français de cette enquête de "10 vor 10". 

«Je suis menacé. L'agresseur m'a dit qu'il appartenait à la mafia... Lui, ses amis et ses proches menacent de me tuer. Aujourd'hui, je ne peux plus sortir en public sans avoir peur. La justice genevoise m'avait promis une protection alors je pensais qu'il n'y avait aucune raison d'avoir peur».

Mohammed Hamdi est algérien et a aidé à élucider un crime grave à Genève. Le 13 mars 2017, trois hommes braquent un diamantaire. Armés de pistolets et de grenades, ils forcent leur victime à ouvrir les coffres-forts. Ils dérobent des diamants d'une valeur d'au moins 15 millions de francs, puis détruisent leurs traces d'ADN à l'aide d'extincteurs. Les auteurs disparaissent ensuite sans laisser de traces.

La police publie à l'époque ces images sur Youtube, dans l'espoir que quelqu'un reconnaisse les braqueurs. C'est la première fois que les autorités genevoises ont recours à ce moyen. C’est là qu’un témoin se manifeste: Mohammed Hamdi. Il raconte, son voisin est venu le voir avec la vidéo et s'est vanté d’être l’un des auteurs. Les bandits sont arrêtés. Le voisin de Mohammed est condamné à 10 ans de prison en Algérie. «Je vis dans la peur. Avant, je travaillais dans le bâtiment. Maintenant, je suis au chômage. Mon fils va à l'école tout près de la maison du bandit. Je l'y emmène et je vais le chercher. Si mon fils arrive en retard, je panique à l'idée qu'il lui soit arrivé quelque chose», expose le témoin.

Menaces et agression

L'homme n'ose presque plus sortir de chez lui. Même depuis la prison, son voisin continue de lui envoyer des menaces sur son téléphone portable. En 2018, la procureure alors en charge du dossier demande la protection des témoins. Raison invoquée: "Au vu de la dangerosité avérée de Nabil A. et parce que, malgré son enfermement, il est en mesure de contacter des personnes à l'extérieur, (...) je crains pour l'intégrité physique de Mohammed Hamdi et de sa famille".

C'est pourquoi toute la famille doit être emmenée en Suisse. Pourtant Mohammed vit toujours sans protection dans la ville algérienne de Tlemcen. Puis au printemps 2022, alors qu’il est assis dans un café, l'oncle de Nabil A. l’agresse avec un marteau. 

Des radiographies et un rapport médical documentent la blessure. Au début de cette année, un policier algérien le met en garde: les auteurs finiront par se venger. Et dans le dossier du Ministère public genevois, on peut lire: "L'homme a respecté ses engagements et est très menacé. Il mérite le soutien que les autorités lui ont promis".

Demande de protection révoquée

Mais le dossier est transféré à un autre procureur. Là, avec l'aval du Procureur général Olivier Jornot, la demande de protection n’est pas maintenue: toute la procédure s'est déroulée en Algérie, les menaces et l’agression ne sont pas assez graves pour mettre en place cette mesure.

L’avocat genevois de ce témoin, Me Jordan fait alors recours. Mais la Chambre pénale de recours de Genève confirme cette décision: pas de protection des témoins pour Hamdi. Romain Jordan est indigné. «Je constate que mon client n'est pas protégé, il est menacé, il a été agressé. Et je trouve cette situation insupportable», expose l'avocat. 

Le cas Hamdi n’est pas isolé. Il y a quelques années, Olivier Jornot n'a pas accordé de protection dans une affaire d’attaque de fourgon blindé. À l’époque, la police recrute un ancien bandit comme informateur. Grâce à son aide, des arrestations ont lieu. Mais selon son avocat, l'informateur a ensuite dû dévoiler son identité face à la justice française et , depuis, les gangsters veulent sa peau.

Sentiment d'abandon

«Dans des cas aussi graves, c'est le devoir de protection qui prime. Un devoir de l'Etat qui a bénéficié auparavant des témoignages. Qu'on les laisse tomber comme ça, je trouve ça choquant» lâche Me Romain Jordan. La SRF a demandé à plusieurs reprises des interviews au procureur général de Genève, sans retour.

Mohammed Hamdi, lui, est amer. «Je n'aiderai plus jamais la justice genevoise. Si je savais quelque chose aujourd'hui, je ne le signalerais pas à la police, car elle n'est pas digne de confiance. La justice genevoise m'avait promis une protection, mais elle n'a pas tenu sa promesse. Je ne m'attendais pas à ça», regrette-t-il. 

La Suisse n’accorde pas plus de trois ou quatre cas de protection de témoins par an. Mais l'enjeu n’en demeure pas moins important.