Genève

Interdiction de la prostitution, les acteurs du milieu craignent des dérives

18.05.2020 18h38 Rédaction

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Depuis le 16 mars, toute activité de prostitution est interdite en Suisse dans le cadre de la lutte contre le Coronavirus. Pour les travailleurs et les travailleuses du sexe, leur principal voir unique revenu a donc disparu du jour au lendemain. Dans le milieu, on s’inquiète d’une précarisation du métier.

Yumie est travailleuse du sexe depuis sept ans. Nous la rencontrons ce matin dans les locaux d’Aspasie, l’association d’aide aux personnes exerçant la prostitution. Depuis près de deux mois maintenant, la jeune femme doit vivre sans son activité principale. Privée de contact direct, elle propose du sexe par webcams interposées. «Je n’ai pas énormément de rendez-vous. Forcément, ce n’est pas mon métier. Le sexe virtuel est un savoir-faire à part, cela doit s’apprendre», explique Yumie.

« L’interdiction risque de générer du proxénétisme »

Depuis l’interdiction de pratiquer, elle refuse tout contact direct avec ses clients. Parfois, il lui arrive d’avoir des appels très insistants, certaines personnes veulent absolument la voir en vrai. «Ce qui est injuste, c’est que ces personnes-là ne sont pas amendées. Tous ces gens qui m’appellent, insistent et sont parfois même lourds.» 

Car actuellement, exercer la prostitution est passible d’amende, et d’une arrestation en cas de récidive. Yumie craint que l’illégalité soudaine d’un métier pourtant autorisé en Suisse ne crée des dérives. «Il y a des filles qui préféreront faire appel à quelqu’un pour vérifier que la police n’arrive pas. Ça risque de générer du proxénétisme», déplore-t-elle.  

Car Yumie se doute que certaines consœurs ou certains confrères n’ont d’autres choix, financièrement parlant, que de continuer à exercer malgré l’interdiction. Un constat partagé par les associations actives dans le milieu. Car si les personnes déclarées ont droit aux allocations pour perte de gains, ce n’est pas le cas de tous les travailleurs du sexe. «Il y a des personnes qui sont en autorisation de séjour de 90 jours, et elles n’ont droit à aucune d’aide. Elles passent à travers les mailles de l’aide sociale », déplore Agnes Földhazi, présidente de l’association Boulevard, et membre du comité d’Aspasie.  

«En deux mois, on nous a déjà rapporté des cas de violence »

Avec le soutien de la Ville, du Canton et de fondations privées, Aspasie et l’association Boulevard continuent à aider les travailleurs du sexe par de la prévention ou par de l’aide alimentaire. Sur le terrain, les témoignages récoltés laissent déjà transparaître des dérives. «En deux mois on nous a déjà rapporté des cas de violence. Il y a des gens qui profitent de la situation». 

La prostitution fait partie des activités qui pourraient être à nouveau autorisées dès le 8 juin. Mais le flou persiste. Yumie, elle, n’attend qu’une chose. « De pouvoir reprendre le travail, avec les mesures de sécurité sanitaire bien sûr. Pourquoi pas avec un masque » sourit-elle.

Lea Job

Madame Lisa, patronne du Venusia, souhaite une réouverture 

Madame Lisa, patronne du Venusia, demande à pouvoir rouvrir les portes de son salon érotique, le tout «sans davantage de contraintes que n’importe quelle autre activité.» Mais si les lieux doivent pour le moment rester clos, c'est parce que la proximité induite par le rapport sexuel empêche le respect des distances de sécurité sanitaire. «On pourrait éliminer certains actes comme le French Kiss, mais il ne faudrait pas que nos restrictions soient telles que la réouverture du salon devienne inutile», explique Madame Lisa. 

Les femmes employées par le salon, pour la plupart roumaines, françaises et espagnoles sont toutes rentrées chez elles suite aux mesures annoncées par le gouvernement. Madame Lisa explique avoir eu régulièrement des contacts avec elles et s’être ainsi rendu compte que «les plus mal loties », contrairement à ce qu’elle imaginait, étaient les jeunes femmes françaises. «Bien souvent, une partie du cercle familial des jeunes filles roumaines ou espagnoles connait leur activité, ce qui n’est pas le cas pour les françaises. En plus de ça, les jeunes filles françaises vivent beaucoup plus au jour le jour et n’ont ainsi plus de quoi vivre. Aujourd’hui, c’est très dur pour elles.»

Autre problème, celui des clients. Nombreux sont ceux qui continuent à appeler le salon pour prendre rendez-vous: « Il y en a qui comprennent, qui acceptent que nous soyons fermés, mais il y a aussi ceux qui n’arrivent plus du tout à comprendre pourquoi tout est ouvert et pas nous.»

Elio Sottas