Bilan des sortants: Anne Emery-Torracinta, conseillère d'État contestée
Suite de nos bilans des conseillers d’Etat sortants qui ne se représentent pas. Après celui de Serge Dal Busco, nous vous proposons de revenir sur le dernier mandat de la cheffe de l’Instruction Publique.
Anne Emery Torracinta: dix ans au conseil d’État, dix ans au département de l’Instruction Publique, avec un credo : l’école inclusive. Une mesure en cours, mais de loin pas encore aboutie, ce que confirme la conseillère d’État: « on n’est de loin pas dans une école inclusive si l’on considère une école sans sections, sans structures séparatives. Car c’est quelque chose qui prend du temps, et de l’argent. Je n’ai eu de cesse durant ce mandat de me battre pour des budgets».
À l’heure du bilan, c’est le taux de certification, en hausse, dont elle est la plus fière: «On a proportionnellement plus de jeunes qui ont un diplôme.» À son arrivée, Genève était le dernier canton, «la lanterne rouge». Aujourd’hui, le canton est deuxième des romands derrière le Valais. Et ce notamment grâce à la formation obligatoire jusqu’à 18 ans, mise en place en 2018.
Durant ce mandat, la place du numérique a aussi été cruciale, mais la mise en oeuvre fut lente. En 2019, le Grand Conseil refusait le projet contenant notamment l’achat de matériel informatique. Le tout revient actuellement sous la forme de deux projets de loi, actuellement. L’un a été accepté, le deuxième est en passe de l’être car validé en commission.
Non à la réforme du cycle
Anne Emery-Torracinta a aussi connu des revers sur l’école, comme avec la réforme du cycle CO22. Les députés disent oui. Le peuple par contre dit non en 2022, de justesse. Anne Emery-Torracinta n’y voit pas une défaite: « C’est la première fois que le parlement a dépassé le clivage gauche-droite sur la structure du cycle. Les mentalités ont évolué aussi dans la population. Donc je pense que cela finira par se faire.»
Toujours au cycle, le DIP est condamné en 2017 par le Tribunal Fédéral. Le département devait mettre en place une troisième heure de sport. L’application fut retardée durant des années, «car nous voulions le faire en même temps que la réforme du cycle» explique la conseillère d’Etat. La réforme ayant été refusée, le troisième heure est tout juste en cours d’introduction dans les horaires.
En 2020, Anne Emery-Torracinta fait face à la crise covid. Durant le confinement, élèves et enseignants sont à distance. À leur retour en classe, le masque devient obligatoire. Le covid laisse place à une autre crise, migratoire cette fois. En septembre 2022, 600 élèves ukrainiens font leur rentrée à Genève, dans un canton déjà en manque de bâtiments scolaires.
Anne Emery-Torracinta pilote aussi l’université. En 2023, un nouveau recteur doit être nommé. La conseillère d’Etat souhaite un candidat du sérail. L’assemblée de l’université choisit un québécois. Le conseil d’Etat s’oppose donc à la nomination… et le processus repart de zéro: « Je ne peux que regretter les choses telles qu’elles se sont passées. Maintenant, ce n’est pas la fin du monde, l’équipe actuelle continue à tourner.»
Le scandale
Côté enseignement spécialisé, le mandat d’Anne Emery Torracinta restera marqué par un scandale. En 2021, Le Temps révèle des cas de maltraitance au foyer pour enfants autistes de Mancy. Puis de nouveaux éléments accablants sont portés par la presse en 2022: «Est-ce que j’aurais dû faire les choses différemment ? On est toujours plus intelligents après. Le foyer s’est probablement constitué à un moment où l’organisation n’a pas été bonne. Vous imaginez bien que ce scandale, c’est la dernière chose que j’aurais aimé, ayant moi-même une fille en institution. J’ai vécu douloureusement cette crise». La conseillère d’Etat porte la responsabilité sur l’Office Médico Pédagogique, qui ne l’aurait pas informée assez vite. Une enquête parlementaire doit sortir prochainement pour faire la lumière sur les responsabilités politiques dans ce dossier.
Au delà des faits, Anne Emery-Torracinta estime qu’elle n’aurait pas pu communiquer différemment à la presse et au public: «Est-ce que j’aurais dû faire le grand déballage ? Peut-être, mais cela n’aurait pas été institutionnel et déontologique. Si j’avais pu montrer un certain nombre de documents, dire un certain nombre de choses, cela m’aurait permis de remettre l’église au milieu du village. Montrer qu’il n’y a pas une méchante conseillère d’Etat et plein de personnes gentilles autour».
Depuis, la conseillère d’Etat a lancé une réforme de l’Office Médico Pédagogique. Le foyer de Mancy a été assaini. Mais l’empreinte du scandale est bien là, de même que cette réputation, d’une conseillère d’Etat menant une politique des fusibles: «Dès qu’il y a un problème on me rend responsable. Et dès que j’agis, on dit que je fais sauter des fusibles.»
«Pas de pare-feu»
Le DIP, un département qu’elle n’aurait pas forcément souhaité au départ: «Cela a obligé mon mari a quitter ses fonctions de directeur d’école. D’autre part, c’est un département difficile car il n’y a pas de pare-feu. Dans certains départements, il y a les régies autonomes. Au DIP, tout remonte directement au plus haut».
Dès le mois de juin, Anne Emery Torracinta souhaite profiter de son congé: «M’occuper de mes petites-filles, et m’engager dans l’associatif comme je l’ai toujours fait. Je resterai active, au service des autres».