Genève

S’inspirer des éléphants pour créer des robots du futur

23.08.2021 17h00 Rédaction

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La  trompe  de  l’éléphant  présente  une  extraordinaire  polyvalence cinématique  puisqu’elle  peut  délicatement  manipuler  un  simple brin d’herbe tout comme porter des charges allant jusqu’à 270 kilos

La trompe présente des capacités infinies

En  utilisant  des  technologies  de  capture  de  mouvement développées pour l’industrie du cinéma, une équipe de scientifiques de l’Université de Genève (UNIGE) démontre que les comportements complexes  de  la  trompe  de  l’éléphant  émergent  de  la  combinaison d’un ensemble fini de mouvements de base tels que la propagation d’une  courbure  et  la  formation  de  pseudo-articulations.  En  outre, l’équipe  suisse  démontre  que  la  vitesse  de  la  trompe  de  l’éléphant obéit  à  une  loi  mathématique  observée  dans  les  mouvements  de dessin de la main humaine. Ces résultats sont publiés dans la revue Current Biology.

La  trompe  de  l’éléphant  est  flexible  sur  toute  sa  longueur:  les  contractions  coordonnées  des  muscles se  traduisent  par  des  torsions,  des  flexions,  des  allongements,  des raccourcissements  et  des  raideurs,  et  tout  cela  sans  le  soutien  d’un quelconque  os.  Ces  changements  de  forme  reposent  sur  le  volume constant des tissus autoportants de la trompe, permettant d’effectuer une plus grande variété de mouvements par rapport aux appendices articulés. Par conséquent, comprendre comment l’éléphant gère cette complexité et réussit à contrôler le mouvement de sa trompe est un défi  complexe.  Pour  étudier  cette  question,  une  équipe  pluridisciplinaire dirigée par Michel Milinkovitch, professeur au Département de génétique et évolution de la Faculté des sciences de l’UNIGE et chef de groupe à l’Institut suisse de bioinformatique (SIB), a combiné des expériences de comportement et de capture de mouvement avec des techniques d’imagerie médicale de pointe.

Une étude réalisée comme une production cinématographique

Les chercheurs et chercheuses ont d’abord placé des marqueurs réfléchissants  le  long  de  la  trompe  de  deux  éléphants  d’Afrique  adultes  et  ont  enregistré  avec  une  grande  précision  leurs  trajectoires  en  3D à l’aide de plusieurs caméras infrarouges placées autour de la scène. Cette  technologie  est  empruntée  à  l’industrie  cinématographique: Gollum  dans Le  Seigneur  des  Anneaux ou  les  Na’vis  dans Avatar ont pris  vie  en  transposant  sur  des  personnages  créés  numériquement les mouvements d’acteurs portant des marqueurs réfléchissants. La solution est de simplifier. L’équipe  suisse  montre  aujourd’hui  que  les  éléphants  utilisent  un principe   de   simplification   fondamental:   les   trajectoires   sophistiquées de  la  trompe  sont  composées  à  l’aide  d’un  langage  de  blocs  de construction cinématiques. En effet, les chercheurs et chercheuses ont  identifié  une  ‘boîte  à  outils’  d’environ  20  mouvements  de  base simples  qui  sont  combinés  par  la  trompe  pour  produire  un  comportement  complexe  spécifique,  de  la  même  manière  qu’une  phrase complexe est constituée de la combinaison de mots plus simples. 

Les éléments  qui  sont  sélectionnés  et  combinés  dépendent  de  la  tâche que l’éléphant accomplit. «Lors de la saisie et du maintien d’un objet pour le transport, la trompe présente une flexion localisée qui voyage ensuite de son extrémité vers sa base, tandis que lorsque l’éléphant atteint  une  cible  placée  devant  lui,  il  allonge  et  rétracte  des  parties spécifiques de sa trompe de manière modulaire», explique Paule Dagenais, chercheuse dans l’équipe de Michel Milinkovitch. La variation des attributs des objets induit des transitions dans les stratégies de préhension  correspondant  à  différentes  combinaisons  des  20  blocs 

de construction. Par exemple, lorsqu’il saisit un disque en bois léger, l’animal  utilise  la  succion  comme  force  de  levage.  En  revanche,  la succion n’est utilisée que pour sécuriser la position d’un disque plus lourd (métallique), tandis que la trompe s’enroule autour de celui-ci pour renforcer la préhension.

Le biomimétisme utile à la robotique

Tous ces résultats serviront de base au développement d’un nouveau concept  de  manipulation  robotique  souple  qui  permettrait  à  ces  robots de détecter, d’atteindre, de saisir, de manipuler et de libérer  toute  une  série  de  charges  utiles  et  d’objets  de  formes  et  de  tailles diverses. Des industriels italiens planchent déjà sur une nouvelle génération de robots mous capable d’intervenir sur des terrains compliqués tels que les lieux de sinistres de catastrophe naturelle ( séisme, tempête). Ces nouveaux robots inspirés de la trompe de l’éléphant pourraient, avec agilité, intervenir sur le terrain et réaliser des tâches variées avec un capacité d’adaptation fulgurante.

Philippe Verdier et Martin Esposito