Culture

Une traviata (trop) déconstruite à Genève

16.06.2025 19h07 Rédaction

cherqui

La dernière production de la saison à l’Opéra de Genève, La Traviata de Giuseppe Verdi, n’a pas laissé le public indifférent. Au contraire, la mise en scène audacieuse de Karine Hinkel a déclenché des réactions vives lors de la première. Le critique lyrique Guy Cherqui, livre son analyse de ce spectacle qui divise.

Pour Guy Cherqui, la version proposée par Karine Hinkel n’est «pas la Traviata traditionnelle». En s’appuyant davantage sur le roman originel d’Alexandre Dumas fils que sur les codes classiques de l’opéra, la metteuse en scène a opté pour une narration inversée, démarrant par la fin tragique de Violetta. Cette approche déconstruite tente de souligner le destin scellé de l’héroïne, isolée dès les premières scènes.

Si le critique lyrique reconnaît l’intelligence de la proposition scénique, Guy Cherqui pointe cependant une forme de surcharge: trop d’éléments superposés qui nuisent à l’émotion. «Le trop est quelquefois l’ennemi du bien», résume-t-il, regrettant un manque d’impact dramatique.

Public dérouté, accueil mitigé

La réception du public a été sans appel: Karine Hinkel a été abondamment huée à l’issue de la première. Cette réaction témoigne, selon Guy Cherqui, de la difficulté à bousculer les classiques: «Les gens ont envie de mouchoir, de crinoline, de rêve.»

La presse spécialisée a d’ailleurs largement partagé le malaise du public genevois. Pour beaucoup, toucher à La Traviata, c’est s’attaquer à un monument de l’art lyrique, ce qui suscite des attentes très fortes, voire un attachement presque sacré à l’œuvre.

Distribution inégale, direction musicale en demi-teinte

Sur le plan vocal, Guy Cherqui distingue des performances solides sans être transcendantes. Il salue néanmoins la prestation de Ruzanne Manteghian dans le rôle-titre (distribution A), notamment lors du troisième acte et de la scène finale, qu’il qualifie de «très beaux moments».

C’est surtout le baryton Luca Micheletti, dans le rôle de Giorgio Germont, qui s’impose pour Guy Cherqui comme «absolument exceptionnel». En revanche, le ténor est jugé «un peu problématique» et manquant de subtilité. Quant à la direction musicale, assurée par un chef expérimenté, elle est décrite comme «en roue libre»: efficace, certes, mais peu inspirée et manquant d’énergie.

L’équilibre à retrouver

Face aux critiques, Guy Cherqui plaide pour un «juste milieu»: il ne s’agit pas de figer les œuvres dans une tradition immuable, mais de ne pas perdre non plus leur essence émotionnelle et musicale. La Traviata reste une œuvre que le public attend avec des attentes précises – parfois nostalgiques – et qu’il est risqué de déconstruire sans susciter de vives réactions.