Économie

Raiffeisen affranchie de l'antisémitisme du fondateur allemand

18.04.2024 09h26

Raiffeisen affranchie de l'antisémitisme du fondateur allemand

Le nom de la place Raiffeisen à St-Gall, située devant le siège national de la banque suisse, a suscité la polémique au printemps dernier. Un comité avait demandé qu'elle soit rebaptisée à cause de l'antisémitisme du fondateur allemand des premiers réseaux financiers Raiffeisen (archives).

Photo: KEYSTONE/GAETAN BALLY

Le fondateur des premières banques Raiffeisen, en Allemagne, était antisémite, mais ses positions n'ont pas influencé les activités des établissements suisses. Une étude mandatée par la banque le révèle, suite à une polémique sur le nom donné à une place à St-Gall.

En mai 2023, un comité, dont l'ancien conseiller aux Etats Paul Rechsteiner (PS) fait partie, a réclamé qu'un nouveau nom soit donné à la place Raiffeisen à St-Gall, où siège la banque en Suisse. Son argument: le fondateur des réseaux de soutien à l'agriculture Raiffeisen, en Allemagne, était antisémite.

Inaugurée en 2005, la place Raiffeisen, au revêtement rouge, a été en partie conçue par l'artiste st-galloise Pipilotti Rist, également membre du comité qui réclame une nouvelle dénomination. Le siège principal de la banque y est installé, tout comme la synagogue de St-Gall.

Rapport confié à l'EPF Zurich

Suite aux reproches, Raiffeisen a chargé les Archives d'histoire contemporaine de l'EPF Zurich de vérifier si l'antisémitisme du fondateur allemand avait influencé les organisations et banques portant le même nom en Suisse.

L’équipe de recherche dirigée par le Dr. Gregor Spuhler a étudié l’histoire du mouvement Raiffeisen en Suisse de ses débuts à 1950, en se concentrant sur deux thèmes: l’antisémitisme et Raiffeisen à l’époque du national-socialisme. Elle aussi a pris sous la loupe les propos du fondateur allemand Friedrich Wilhelm Raiffeisen (1818-1888) sur les Juifs et son influence en tant que réformateur social et initiateur du mouvement Raiffeisen en Suisse.

Discours répandu sur la prétendue 'usure juive'

Selon le rapport de recherche présenté jeudi, le fondateur allemand a emprunté des stéréotypes et des expressions antisémites, dénonçant la prétendue 'usure juive'. Les chercheurs ont rencontré des problèmes de sourçage, beaucoup de documents ayant été perdus, a admis Gregor Spuhler aux médias réunis à St-Gall.

Ils sont toutefois tombés notamment sur un rapport interne du mouvement Raiffeisen en Allemagne, daté de 1880 et truffé de stéréotypes antisémites. En même temps, ils ont découvert un article thématique approfondi sur la 'question juive', daté de la même année, dans laquelle le fondateur se distancie de la persécution des Juifs.

D'après Gregor Spuhler, Friedrich Wilhelm Raiffeisen était 'un antisémite qui avait ses contradictions'. Le mouvement qu'il a créé faisait circuler en son sein la narration selon laquelle les caisses de crédit Raiffeisen étaient 'un instrument contre l'usure juive', libérant la paysannerie allemande des griffes de l’exploitation 'par les Juifs'.

Mentalité antisémite en Suisse également

En Suisse, la première banque Raiffeisen a été fondée en 1889 à Bichelsee (TG). A ses débuts en terres helvétiques, le mouvement a renforcé le fil conducteur antisémite de sa narration. Raiffeisen a d'abord pris pied dans des régions catholiques conservatrices, où l'antisémitisme était très répandu, explique l'historienne Verena Rothenbühler.

Ainsi, des réformateurs sociaux catholiques conservateurs, qui ont fait de la propagande pour les caisses Raiffeisen en Suisse au début du 20e siècle, nourrissaient même 'de violents préjugés antisémites', selon le rapport des experts.

Aucune trace de pratiques discriminatoires

Dans les archives d'une quarantaine de banques coopératives régionales Raiffeisen, les historiens n'ont trouvé cependant aucune preuve que l'antisémitisme ait joué un rôle dans leurs activités bancaires. Les refus de crédits étaient justifiés sur une base économique et on trouvait aussi des noms juifs dans la liste de leurs membres.

Les conclusions de ces recherches sont mentionnées désormais sur une page thématique publiée en ligne par la banque au sujet de l'histoire de groupe Raiffeisen en Suisse.

Nom de la place toujours valide

A travers ce rapport externe, une lacune est désormais comblée, a déclaré Christian Hofer, responsable du secteur développement durable, politique et coopérative de Raiffeisen Suisse. Le travail des historiens 'contribue à une présentation plus transparente des événements et permet une approche différenciée', écrit la banque qui 'se distancie de la narration antisémite de ses fondateurs'.

Sur cette base, la place Raiffeisen peut continuer à porter ce nom, estime Christian Hofer. Il incombe toutefois la ville de St-Gall de se prononcer à ce sujet. Le comité souhaitant un nouveau nom pour la place n'a pas encore réagi au rapport d'experts.

/ATS