Suisse

Juger la Russie et reconstruire l'Ukraine: le rôle de l'Europe

30.01.2023 10h33

Juger la Russie et reconstruire l'Ukraine: le rôle de l'Europe

Damien Cottier était en Ukraine il y a peu au sein d'une délégation d'une commission de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (Archives).

Photo: KEYSTONE/AP/Jean-Francois Badias

Le conseiller national Damien Cottier a évoqué devant l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe le rôle qu'auront à jouer l'Occident et l'Europe en particulier quand la guerre en Ukraine sera terminée. Notamment en matière de justice et de reconstruction.

De retour d'Ukraine au sein d'une délégation de la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme de l’institution strasbourgeoise dont il est membre, le libéral-radical neuchâtelois évoque les pistes qu'il a présentées dans une interview lundi au quotidien Le Temps.

'Les Conventions de Genève sont foulées aux pieds tous les jours', affirme celui qui préside aussi le groupe libéral-radical aux Chambres fédérales. Il y a déjà plus de 80'000 dénonciations auprès du procureur général ukrainien, précise M. Cottier. Pour ces crimes, l’Ukraine est compétente et le Conseil de l’Europe aura certainement un rôle à jouer en l’aidant sur cette voie car Kiev n’arrivera pas à tout faire seul, dit-il au Temps.

Les plus graves violations seront traitées par la Cour pénale internationale (CPI) dont il faudra aussi renforcer les moyens au vu de la tâche monumentale qui l’attend. Mais la CPI ne couvre pas le crime d’agression qui contient en lui les maux accumulés de tous les autres: crimes de guerre, contre l’humanité voire de génocide. Pour ce faire, il faut un nouvel organe, un Tribunal international spécial.

Génocide

Le Statut de Rome ne le permet pas tant que l’Ukraine et la Russie ne l’ont pas ratifié. Il devra être réformé pour pouvoir vraiment traiter d’un tel crime. La seule option possible pour l’heure serait de saisir le Conseil de sécurité, mais celui-ci est complètement bloqué sur la question de l’Ukraine.

Pour Damien Cottier, la question du génocide se pose clairement. 'On a de plus en plus entendu des commentaires disant qu’il faut effacer la nation et la culture ukrainiennes, que celle-ci doit être fondue dans un ensemble russe, plus grand. Ce sont des éléments qui peuvent relever d’une intention génocidaire. Il ne m’appartient pas de qualifier si tel ou tel crime relève d’un génocide car je n’ai pas suffisamment d’éléments de preuve dans ce sens. Mais il y a de nombreux indices, il faut donc le dire'.

Sans compter que dans certaines régions, il y a eu des déportations en masse d’enfants ukrainiens vers la Russie pour les 'russifier' ou 'dé-ukrainiser'. De tels éléments peuvent relever d’une intention génocidaire. Il y a aussi de la torture ou des exécutions de leaders politiques. civils, culturels ou religieux. Ceci aussi participe d’une intention génocidaire, car on veut éliminer des gens qui ont un rôle structurant dans la communauté.

Expertise suisse

Dans son rapport à Strasbourg, Damien Cottier a insisté sur la méthode qu’adoptera la justice ukrainienne. Il faut impérativement que les jugements soient étayés, que les éléments de preuve soient disponibles. Les jugements in absentia doivent respecter des règles précises. Les droits de la défense doivent être garantis.

Le rapporteur doute en outre que l'Ukraine dispose des instruments suffisants pour aborder les crimes sexuels en particulier, dont il a reçu de nombreux témoignages. C’est pourquoi le Conseil de l’Europe et des pays comme la Suisse devraient proposer leur expertise au besoin pour aider les procureurs ou les policiers.

Reconstruction

Pour reconstruire le pays, on parle aujourd’hui de 900 milliards de dollars, indique encore Damien Cottier dans Le Temps. C’est énorme, mais on ne peut pas demander aux citoyens européens ou suisses de payer pour tout cela alors que c’est la Russie qui est entièrement responsable de ces destructions. Il faut mettre en place un mécanisme de sanction afin que l'agresseur supporte une part importante.

Le Neuchâtelois se veut cependant très prudent par rapport à la saisie des fonds russes gelés. Le droit à la propriété étant fondamental, on ne peut pas saisir de tels biens de façon arbitraire. Il faut de vraies procédures judiciaires si on veut prouver l’origine illicite des fonds.

En Suisse, la loi ne permet pas de simplement saisir de tels avoirs et les distribuer à l'Ukraine, rappelle-t-il. 'Il faudra envisager d’autres pistes, par exemple via un accord de paix, s’il y en a un, ou par d’autres mécanismes juridiques qui seront toutefois complexes à mettre en place', précise-t-il.

Au Conseil de l'Europe, d'où la Russie a été unanimement exclue en mars 2022, il faut déjà préparer le jour où ce pays reviendra. 'Car je suis convaincu que c’est un pays profondément européen au même titre que sa population'. Ca sera très compliqué avec le régime actuel, notamment parce que 'je comprends les Ukrainiens qui ne veulent pas en entendre parler', dit-il, mais la Russie ne va pas disparaître. Il faudra donc que la justice s’applique avec toute la rigueur nécessaire. Cela permettra la réconciliation à terme. Sans cela, on n’arrivera jamais à une paix durable.

/ATS