Genève

Scandale de Mancy: le département savait

02.03.2022 19h30 Rédaction

Foyer de Mancy

Le Temps et Heidi.news publient de nouveaux éléments sur la gestion politique du dossier Mancy par le département de l’instruction publique (DIP). La défense de la conseillère d’État et sa chronologie des événements sont mises en cause. Il a même été question de fermer le foyer en 2020. 

«Je n’ai eu connaissance des éléments de maltraitance que dans un rapport de la direction générale de l’Office médico-pédagogique (OMP) datant du 29 mars 2021». Dans les jours qui ont suivi, le département avait déposé plainte pénale pour un cas d'empoisonnement et lancé un audit sur le management du foyer. Or, les affirmations de la conseillère d’État sont contredites par des courriels que nos consœurs se sont procurés. Selon ces documents, la tête du département a été mise au courant dès 2019 et de façon tout à fait précise le 9 février 2021, soit sept semaines plus tôt. 

Dans ce courriel, Sandra Capeder, directrice de l’OMP entre-temps suspendue, dit avoir des «éléments en sa possession» qui font état de «maltraitances et négligences sur des enfants». Ce résumé est envoyé à Paola Marchesini, bras droit d’Anne Emery-Torracinta. Il précise toutefois que la «gestion du foyer est aujourd’hui satisfaisante et bien menée». 

Dans ce même e-mail du 9 février, Sandra Capeder se justifie: «L’ancien directeur a clairement écarté des éléments importants qu’il avait en sa possession soit les témoignages de cinq remplaçants qui ont dénoncé des actes graves de collaborateurs, une situation probablement traitée trop légèrement en 2019, une dénonciation par deux collaboratrices d’actes violents sur des enfants de la part d’un infirmier qui a démissionné juste après et qui travaille aujourd’hui au Service de santé de l'enfance et de la jeunesse.»

D'où viennent ces révélations? Nos consœurs expliquent que plusieurs e-mails ont été déposés sous forme imprimée et de façon anonyme à leur rédaction. Une note dactylographiée non signée indique que ces documents ont également été transmis à la Cour des Comptes et que l’expéditeur entend se placer sous la protection de la loi genevoise sur les lanceurs d’alertes, adoptée en janvier 2021, précisent les deux titres. 

En 2020, sécurité des enfants déjà en cause

Mais l’enquête de nos collègues ne s’arrête pas là. Fin mai 2020, soit 8 mois plus tôt, un courriel signé Sandra Capeder est envoyé personnellement à Anne Emery-Torracinta à propos de Mancy: «Ce foyer ne fonctionne pas bien». Elle y parle d’une «équipe en difficulté» avec plusieurs enfants et d’un «projet éducatif quasiment inexistant». Ces éléments apportent un éclairage différent sur la version de la conseillère d’État qui a toujours affirmé: «Mon erreur a été de croire que le problème ne concernait qu’un seul enfant».

Trois mois plus tard, en août 2020, de nouvelles alertes parviennent à Paola Marchesini par le biais de Sandra Capeder. La directrice de l’OMP aborde avec elle «la situation problématique au foyer de Mancy» et évoque la «mise en lumière de graves dysfonctionnements de certains collaborateurs» ainsi que la «situation particulièrement délicate d’une collaboratrice que l’OMP tente de retirer du terrain». «Il s’agit de faire les choses au mieux, tout en privilégiant la sécurité des enfants», conclut-elle. 

Après la fermeture ratée de Mancy, «protéger la conseillère d’État» 

À la lumière de ces éléments sensibles, le département n’a plus qu’une priorité: fermer le foyer de Mancy, selon Le Temps et Heidi.news. Il est question de déplacer les enfants dans un foyer à Arzier, dans le canton de Vaud, sous l’égide de la Fondation Ensemble. Développé dans la précipitation, le projet échouera en décembre 2020. Jérôme Laederach, directeur de la fondation, confirme à nos consœurs l’existence puis l’abandon de ce projet. Une révélation inédite dans ce dossier. 

Début 2021, retour à la case Mancy. Sandra Capeder reçoit la consigne de ne plus mettre Anne Emery-Torracinta dans la boucle concernant le foyer pour enfants autistes. Paola Marchesini devient la seule interlocutrice. Selon nos consœurs, une source au DIP évoque la nécessité de «protéger la conseillère d’État». 

AUDIT CONTESTÉ DÉVOILÉ DEMAIN

Ces révélations précèdent la publication, demain matin, d’une enquête externe commandée par le DIP en décembre dernier pour faire la lumière sur cette affaire. Ces éléments vont-ils y figurer ? 

L’indépendance de ce rapport, conduit par Francine Teylouni et Pierre-Alain Dard, est contestée. Nos confrères du Courrier rappellent qu’ils sont tous les deux anciens fonctionnaires. L’un a dirigé la brigade des mineurs, l’autre était haut-cadre du DIP. Cette dernière a fait partie de l’entourage proche de la conseillère d’État durant trois ans et nos confrères la disent «proche de membres du secrétariat général». 

Témoins-clés pas entendus

Selon les informations de Léman Bleu, qui confirment celles publiées par Le Courrier, Sandra Capeder n’a pas été entendue dans cette enquête. Il s’agit pourtant d’une personne-clé dans cette affaire. A-t-elle tardé à remonter des informations, comme accuse Anne Emery-Torracinta, ou n’a-t-elle pas été écoutée ? 

Cet audit ne verra pas non plus le témoignage de l’ancien directeur du foyer, parti à l’été 2020, qui a refusé de répondre aux enquêteurs. Dans la Tribune de Genève, son avocat Me Robert Assaël juge ce travail «accusateur, dirigé et incomplet» et dont l’utilité consiste à «trouver un fusible».