Genève

La petite musique qui unit les réfugiés ukrainiens en plein Genève

02.04.2022 17h48

La petite musique qui unit les réfugiés ukrainiens en plein Genève

Les plus jeunes réfugiés peuvent trouver de quoi jouer dans le centre d'accueil genevois.

Photo: KEYSTONE/MARTIAL TREZZINI

Il n'aura fallu que quelques paroles en ukrainien pour que des personnes s'attroupent autour d'une partition. Plus d'un mois après le début du conflit, l'Eglise de l'Armée du Salut en plein de Genève vit au rythme d'une petite musique qui unit les réfugiés.

En ce samedi, les tables du centre d'accueil peinent à se remplir du vrombissement observé depuis cinq semaines. La météo hivernale a dissuadé certains de quitter trop tôt les hôtels dans lesquels ils sont hébergés.

Au piano, Irina, 27 ans, répète régulièrement la même mélodie mélancolique. Depuis son départ de Kiev au deuxième jour de la guerre, elle vient jouer ici plusieurs fois par semaine. 'C'est la musique qui m'inspire', dit cette traductrice, désormais loin des siens dont la plupart sont restés au pays.

Pour elle, la fuite a été une évidence dès les premiers bombardements. Les impacts, les sons des raids à quelques kilomètres, l'augmentation des prix ne laissaient aucune autre possibilité pour elle.

'Je suis complètement perdue', admet-elle, même si elle peut parler à ses proches régulièrement. 'J'espère que la guerre va se terminer'. Comme Irina, la plupart des Ukrainiens viennent chercher des indications sur les procédures et sur le quotidien. Et aussi un peu de connexion Internet, quelques produits d'hygiène et beaucoup de réconfort.

'Pour ne pas pleurer'

Les situations sont très différentes, comme les réactions. Tout dépend de la ville qu'il a fallu quitter, du périple auquel il a fallu faire face. Yulia, une Ukrainienne de France voisine, est bénévole pour aider au centre de l'Armée du Salut, comme traductrice. 'Mais je ne fais pas tant de la traduction que de l'accompagnement psychologique', dit-elle. 'Beaucoup de gens veulent parler'.

C'est le cas de la volubile Valentina, 50 ans, infirmière elle aussi partie de Kiev et arrivée il y a quelques semaines. 'Merci beaucoup Genève, je vous aime', scande-t-elle comme une vedette du rock.

Pour elle, une seule envie. 'La paix', dit-elle. Et elle réfléchit à rentrer rapidement dans son pays mais n'est pas certaine que les conditions soient réunies. En attendant, elle veut être utile si elle peut à Genève, après avoir travaillé pendant 25 ans dans un hôpital. 'C'est mieux de faire quelque chose, pour ne pas pleurer'.

Autour d'elle, l'affluence s'est progressivement étoffée et le piano a laissé place à la chanson en ukrainien. Ici, presque toutes les personnes présentes sont des femmes. L'un des rares hommes s'aventure auprès de quelques-unes d'entre elles pour chanter.

Au centre de la salle, un couple mange. Arrivés le 11 mars de Tcherniguiv, Andreï, 66 ans, et Liudmila, 68 ans, étaient tous les deux ingénieurs. Après plusieurs jours dans les abris de leur immeuble, ils se sont résolus à quitter leur ville sur injonction de leur seconde fille qui se trouve aux Etats-Unis.

Plusieurs jours pour arriver

'Nous ne voulions pas', glisse Andreï. Mais les deux sexagénaires ont fait leur valise en une heure. Trois heures plus tard, les ponts étaient détruits et la ville isolée. Un départ n'aurait plus été possible.

Andreï montre les fenêtres soufflées et le toit endommagé par une roquette russe contre leur immeuble. Il leur aura fallu au total cinq jours pour rejoindre la frontière en voiture, beaucoup plus que prévu. Puis le train, avant Genève où ils résident chez des amis de leur fille. Dans son récit, Andreï n'est plus interrompu depuis quelques minutes par Yulia. 'C'est trop triste, je ne peux pas traduire', admet-elle.

A quelques encablures, Aliocha et sa famille sont désormais habitués. Ils sont les premiers à être arrivés. 'Le petit était dans une fatigue tellement extrême que j'ai cru qu'il était handicapé', fait remarquer la directrice de l'hébergement d'urgence à l'Armée du Salut, Valérie Spagna. Désormais, Aliocha gambade et les sourires ne sont pas rares sur son visage.

Pour Andreï et Liudmila en revanche, l'inquiétude d'avoir laissé une fille et un petit-enfant à Tchernuigiv est permanente. Dans cette ville, pas d'eau, pas d'électricité et la possibilité de parler se limite à une minute tant les connexions sont difficiles. Cette situation incite à venir régulièrement au centre de l'Armée du Salut: 'il faut bouger', dit Liudmila.

Dans un an, le couple se voit en Ukraine. Mais il faudra que le président russe Vladimir Poutine ait été mis hors d'état de nuire, selon Andreï. Avec son épouse, il mentionne la fête chaque année entre habitants de Tchernuigiv et ceux de villes bélarusse et russe à 70 km de la leur environ. Celle-ci est devenue impossible selon eux. 'Nous n'oublierons jamais', dit Liudmila. Cette musique, ils ne voudront plus l'entendre.

/ATS