Genève

Injections illégales, la piqure de trop

25.05.2022 19h45 Lucie Hainaut

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Lundi, le Ministère public diffusait un appel aux personnes lésées. Il enquête sur un phénomène qui prend de l’ampleur: les actes de médecine esthétique pratiqués illégalement. Certaines personnes administrent des injections d’acide hyaluronique dans des appartements privés, sans diplôme ni autorisation de pratiquer. Les professionnels de la santé tirent la sonnette d’alarme.

Nous l’appellerons Melissa. À 21 ans, elle souhaite augmenter la taille de ses lèvres. Elle trouve sur les réseaux sociaux une infirmière basée à Genève. Mais tout ne se passe pas comme prévu: «La première fois que j’ai fait des injections ça s’est bien passé mais la deuxième fois j’ai fait des retouches, et on m’a injecté trop de produit. Ce qui a fait que le sang ne circulait pas comme il faut, et ça m’a rendu les lèvres bleues sur l’extrémité de la bouche. C’est ça qui m’a alertée sachant que quand je touchais c’était assez douloureux» raconte la jeune femme. Problème: L’infirmière qui a fait les injections n’est pas en mesure de dissoudre elle-même le produit. Melissa se tourne donc vers un centre d’esthétique reconnu. Heureusement plus de peur que de mal.

Des situations qui peuvent virer au drame

Nous avons montré des photos de Melissa au Dr Luigi Polla, dermatologue spécialisé en médecine esthétique au Forever Institut, afin de recueillir son analyse: «Ma conclusion est la suivante: on a injecté un produit qui a créé une très forte inflammation. Donc je dirais qu’il y a eu une injection excessive, et peut-être d’un produit inadéquat» relève-t-il. La problématique des injections illégales, ce médecin connaît bien: «Depuis une année, une année et demie, nous avons constaté qu’il y a fréquemment des problèmes avec des personnes qui ont reçu des injections dans des structures inadéquates, et par des personnes qui n’ont pas la formation et le diplôme nécessaire pour injecter» raconte-t-il. Si Melissa a eu de la chance, d’autres patientes s’en sortent nettement moins bien. Le Dr Patrick Micheels, qui travaille au centre d’esthétique Cosmeda, a eu vent de situations dramatiques: «Une patiente a été vraiment défigurée, elle s’est retrouvée avec des nodules partout. C’est quelque chose qu’on ne peut plus accepter, alors il faut combler le vide juridique afin de protéger nos patients» réclame le médecin spécialisé en médecine esthétique. 

Comment lutter efficacement pour les injections illégales?

Combler le vide juridique: Romain Riether est avocat, il travaille notamment sur des questions de droit médical. Il ne partage pas le diagnostic du Dr. Micheels: «La question qui se pose ce n’est peut-être pas de savoir si on a le cadre juridique qui convient, mais si on a les contrôles, si on a l’assurance que ce cadre juridique est respecté. La problématique ce n’est peut-être pas tant d’ajouter des lois sur les lois, mais tout simplement de s’assurer qu’elles soient respectées. Est-ce qu’il faut attendre que des victimes se présentent, pour qu’on se pose des questions?». Et quand on lui demande s’il pense que le Service de la médecin cantonal en fait assez dans la lutte contre la pratique illégale de la médecine, il se contente de répondre: «Je pense que personne ne reprocherait au Service de la médecin cantonale d’être peut-être plus proactif sur le sujet». 

«La Direction Générale de la Santé investigue dans 100% des cas qui lui sont remontés»

Contacté par nos soins, le Département de la Santé réagit: «La Direction Générale de la Santé investigue dans 100% des cas qui lui sont remontés avec suffisamment d’éléments concrets pour agir (la simple rumeur ou «on-dit» ne suffit pas). Elle pratique également des inspections régulières dans les institutions de santé et vérifie naturellement en particulier les diplômes et autorisations des professionnels de santé. La Direction Générale de la Santé invite toutes les personnes qui auraient connaissance de telles situations à les lui faire connaître de même qu’elle encourage les patients à s’assurer que les personnes qui les prennent en charge soient titulaires des titres et autorisations adéquates».

Des risques... pas uniquement sanitaires

Selon l’avocat, passer par une personne qui pratique sans autorisation comporte de nombreux risques, et pas seulement sur le plan sanitaire: «Un médecin est assuré. Ce qui veut dire que s’il vous cause des lésions, vous pouvez vous tourner vers son assurance pour être dédommagé. Quelqu’un qui agit seul dans un airbnb, qui vient de l’étranger, vous n’avez que cette personne vers qui vous tourner, et vous n’avez aucune garantie qu’elle soit solvable». La prudence est donc de mise. Pour les personnes qui souhaitent faire des injections, le plus sûr reste de s’adresser à des médecins formés, titulaires d’une autorisation en règle.