Genève

Scandale des écoutes judiciaires: «Genève tient son Watergate»

07.11.2022 19h09 Rédaction

Le monde judiciaire est en ébullition. Des avocats genevois ont été illégalement mis sur écoute dans le cadre du procès des promoteurs immobiliers. Le Ministère public est éclaboussé par ce qui s’apparente à une grave crise institutionnelle.

Des avocats ont été illégalement écoutés par la Brigade financière de la police sur instruction du Ministère public. Deux avocats l’ont révélé ce matin lors du procès en appel de l’affaire des promoteurs. Une information grave et lourde de conséquences pour le fonctionnement de la justice. Le procès a été reporté, le temps que des actes d’enquête soient menés. Me Nicola Meier et Me Didier Bottge, avocats de la défense, ont dénoncé à la barre ces enregistrements. Ils ont demandé la suspension du procès et la récusation de la procureure Babel Casutt.

En 2014, durant trois mois, les échanges entre les prévenus et leur avocat ont été enregistrés et écoutés. «On ne peut qu’être triste en tant qu’avocat et que de tels procédés aient pu être utilisés dans un pays dont on pense qu’il est basé sur ses piliers démocratiques, souffle Me Didier Bottge. Il est consternant d’imaginer que des manœuvres astucieuses aient pu avoir lieu.»

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Pour Me Nicola Meier, cette affaire est le plus grave scandale judiciaire de la décennie: «C’est comme si vous placiez un micro dans une étude d’avocat et que vous écoutiez les confidences entre un avocat et son client. Le secret professionnel de l’avocat n’est pas une simple règle en soit, la Cour européenne des droits de l’homme dit que c’est un fondement de la démocratie.»

La Brigade financière a-t-elle agi seule?

La procureure Babel Casutt a confirmé l’existence de ces écoutes, tout en niant les avoir consultées et commandées. Des propos qui font réagir Me Meier: «C’est effrayant. Soit la Brigade financière, d’elle-même, a décidé d’écouter des avocats et leurs clients, à l’insu du Ministère public. Soit, lorsque la Brigade financière agit sur des mandats d’acte d’enquête du procureur, l’impulsion qui était donnée a été suivie d’effets. Ces deux effets d’hypothèses restent à déterminer, mais sont d’une gravité absolue.»

Les deux avocats avancent que des actes d’enquête ont été faits sur la base de ces écoutes illégales. «Une plainte a été déposée en 2013. Un an après, lors d’une conversation entre le client et son avocat, un individu a été évoqué, jamais la justice ne s’y était intéressé. Moins de 48 heures après, une perquisition était ordonnée dans les locaux de ce tiers», argumente Me Meier. Son confrère Me Bottge parle, lui, «de forts indices de causalité dans le temps et dans le contenu entre la transcription de certaines écoutes téléphoniques et le traitement judiciaire dans le cadre des enquêtes du ministère public.» La procureure Babel Casutt a parlé d’une «malheureuse coïncidence». Les avocats ont du mal à croire cet argument.

Des procédures à suivre

Le procès, maintenant, fait face à une demande de récusation. Elle devra être traitée par une autre juridiction. Si la demande est acceptée, les preuves pourraient être classées irrecevables. «Cela sera un travail titanesque d’analyse des pièces sur la causabilité entre les actes d’enquête et les écoutes qui ont été faites en amont», explique Me Bottge. Me Meier espère, lui, «que des procédures vont s’ouvrir d’elles-mêmes. Je doute, ma confiance en l’institution est ébranlée.»

Daniel Sormanni, député MCG, réagi à cette affaire: «C’est très grave, je crois que Genève tient son Watergate. Je pense que ce sont des procédures inadmissibles. On n’est pas ici dans des actes de terrorisme et de mise en danger de l’État, par conséquent on se doit de respecter strictement les lois.» Via la commission de contrôle, le Grand conseil pourrait lancer une commission d’enquête parlementaire, dans les prochains jours, explique le député. C’est donc le début d’une longue saga.