Genève

«Le Qatar a réussi à faire taire les critiques»

23.11.2022 19h12 Julie Zaugg

Paula Dupraz-Dobias

Le Qatar a utilisé la Genève internationale pour se construire une réputation en matière d’intégrité dans le sport. Ce sportwashing, c’est ce que révèle l’enquête de la journaliste Paula Dupraz-Dobias.

Pendant des mois, la journaliste Paula Dupraz-Dobias a enquêté sur les actions du Qatar au sein de la Genève internationale. Le pays du Golfe a utilisé différentes institutions pour s’acheter une réputation dans le domaine du sport. «La plupart des gens dans le monde aiment le sport. Les gouvernements ont réalisé cette passion pour le sport et ils l’utilisent pour leurs propres intérêts, souvent pour couvrir des choses désagréables: leur passif en matière de droits humains ou encore un leadership dictatorial, explique la journaliste. On a eu le cas de l’Arabie Saoudite, avec son tournoi de golf, le Tournoi LIV, qui masquait une certaine réalité chez eux qui n’est pas des plus positives.»

«Le Qatar a réalisé qu’en s’intéressant aux organisations internationales à Genève, il pourrait obtenir quelque chose de cette relation. Le Qatar a fait de son mieux pour remporter l’offre et organiser la Coupe du Monde. Et même avant qu’il ne la remporte, il commençait déjà à se positionner à Genève. Avec l’achat d’une magnifique propriété au bord du lac, en face des Nations Unies notamment. Puis dans les années suivantes, une organisation qatarie appelée le Centre international pour la sécurité dans le sport (CISS), créée bien avant l’appel d’offre et censée se concentrer sur les questions d’intégrité dans le sport, contre les trucages de matchs, s’est délocalisée à Genève. Peu de temps après, une autre organisation a été créée, l’Alliance Globale pour l’Intrégrité dans le Sport. Comme son nom l’indique, elle disait qu’elle promouvait l’intégrité dans le sport : des évènements étaient organisés dans le monde, Genève inclus comme le CISS le faisait déjà. Très souvent avec des organismes des nations Unies et avec l’appui de personnes très influentes dans le milieu.»

Paula Dupraz-Dobias a découvert un manque de transparence fort: «Pour l’un comme pour l’autre, les adresses répertoriées sur leurs sites internet ne menaient à rien. Il n’y avait aucun signe de leur présence. En termes de financement aussi, de la façon dont l’argent circulait, là il y avait un voile vraiment opaque, un manque de transparence.»

«Le gouvernement devrait être plus conscient de l’existence de ce genre d’organisation»

Pour elle, le financement est problématique: «Avec le retrait des Etats-Unis de la plupart des Organisations des Nations Unies ces dernières années, sous la présidence Trump, et la réduction des contributions de la part des grands investisseurs, les Nations Unies sont peut-être à la merci de quiconque contribue financièrement à ces institutions.»

Les conséquences peuvent être désastreuses: «J’ai pourtant parlé à quelqu’un de Humans Right Watch et qui m’a confirmé que beaucoup des travailleurs migrants ne peuvent toujours pas changer de travail, avoir un salaire décent voire même quitter le pays. Alors je pense que le Quatar a peut-être “gagné” dans le sens où ils réussissent à faire taire les critiques mais, à travers la Coupe du Monde, je pense qu’il y a eu un rappel dans de nombreux médias que ces problèmes existent bel et bien.»

Quelle serait la solution? Selon elle, au moins une prise de confiance: «Le gouvernement devrait être plus conscient de l’existence de ce genre d’organisation. Pour l’image de Genève, peut-être faut-il au moins une prise de parole politique, pour marquer le contraste qu’elles représentent par rapport à l’image que la ville essaie de projeter.»