Genève

Affaire Sperisen: «On s’enferme entre l’arbitraire et l’impunité»

02.09.2024 19h39 Rédaction

Ce procès met en lumière la complexité pour Genève de juger des faits qui se sont déroulés à 9'000 kilomètres. La justice genevoise est-elle condamnée au discrédit? L’avocat en droit international Me Philippe Currat, nous livre son analyse.

Le 4e procès d’Erwin Sperisen s’est ouvert ce lundi 2 septembre à Genève. Pour Me Philippe Crrat, avocat spécialisé en droit international, «ce type d’affaire a le mérite de tester les limites de tout le système judiciaire». Il pointe le rôle des ONG, dédiées à la dénonciation de ces cas, la difficulté pour mener une enquête à l’étranger ou encore des problématiques de droit de fond. Un cas comme celui-ci appelle selon lui une formation et des moyens. «Vous ne pouvez pas appliquer les mêmes règles pour le petit deal de rue parce que l’on n’est pas du tout sur les mêmes enjeux. Il y a une différence de nature et pas seulement une différence de volume», explique-t-il.

Le dossier compte de nombreuses bizarreries, comme la condamnation d’Erwin Sperisen pour complicité avec une personne innocentée. «C’est le propre de ce type d’accusation, vous n’êtes jamais seul à commettre ce type d’infraction. Contrairement à des enquêtes pénales ordinaires où l’on part des faits pour déterminer qui est responsable, on part ici du dossier que l’on a sous la main et on essaye de rattacher à cette personne tout ce que l’on peut. Ça amène des difficultés colossales au niveau de la procédure.»

Témoins fantômes: «C’est quelque chose que l’on a déjà rencontré» 

Il y a également cette témoin fantôme. Une mère d’un détenu qui avait péri lors de l’opération de Pavon et disait à notre confrère Arnaud Bédat qu’elle ne savait pas pourquoi elle s’était retrouvée du côté de l’accusation dans la procédure, sans connaître non plus son avocate. Elle dit, à l’inverse, qu’on lui a présenté un papier à signer en échange d’un dédommagement. «C’est quelque chose que l’on a déjà rencontré dans les procès devant la Cour pénale internationale, glisse Me Philippe Curat. Quand vous êtes nommé pour représenter 1'500 victimes, vous n’avez pas le temps de les rencontrer individuellement et on se retrouver parfois avec ce genre de situation.»

L’avocat appelle à interroger le rôle des ONG, car le travail d’enquête peut être compliqué par les autorités des pays où les faits ont été commis. Bien que ces ONG font un travail «remarquable et nécessaire» selon lui, elles restent des entités privées qui «n’offrent pas de preuves exploitables sans vérification». Pour l’avocat, «on s’enferme entre l’arbitraire et l’impunité. Il faut, lorsque l’on n’a pas les preuves suffisantes pour fonder une intime conviction au-delà de tout doute raisonnable que la personne est coupable, avoir le courage d’acquitter.»