Genève

Antonio Hodgers ou l’itinéraire chahuté d’une forte tête

07.05.2025 10h44 Laure Lugon Zugravu, Clément Vuagnat

Antonio Hodgers, droite, president du Conseil d'Etat, et la chanceliere d'Etat Michele Righetti, gauche, arrivent pour la point de presse du Conseil d'Etat genevois, ce mercredi 2 septembre 2020 a Geneve. (KEYSTONE/Salvatore Di Nolfi)

Le ministre du Territoire, au pouvoir depuis 2013, aura marqué le canton. S’il a tenté de doter Genève de sa vision à long terme, il a aussi accumulé des revers et provoqué l’agacement.

Il est l'heure de partir. La démission surprise d'Antonio Hodgers est un peu à l’image de sa personnalité. Wonderboy de la politique, forte tête du gouvernement, il raccroche en milieu de troisième législature, celle qu’on dit communément de trop.

Depuis l’affaire Fischer où son département a été pointé du doigt dans l’affaire des mandats attribués sans appels d’offres, la claque prise par Lisa Mazzone aux élections fédérales en 2023 et l’affaire Frédérique Perler en Ville de Genève, le roc Hodgers résistait. Mais on sentait que la passion n’y était plus. Très contesté par la droite dans l’hémicycle, il part facilement à la castagne avec les députés. Conséquence: il passe difficilement ses projets, ce qui doit sans doute l’agacer autant que l’user.

Car la trajectoire de l’élu est si peu banale qu’elle s’accommode mal d’un glissement vers l’insignifiance. Né à Buenos Aires en Argentine, d’un père et d’une mère opposants marxistes-léninistes à la dictature, Antonio Hodgers vit une enfance heurtée. Un père assassiné par la junte peu après sa naissance; une mère torturée, la prison, puis la fuite vers la Suisse en 1981 avec sa mère et sa sœur. Réfugié politique, il obtient la naturalisation en 1990. Il est le premier conseiller d’Etat à démontrer qu’un tel parcours migratoire n’empêche pas d’accéder au pouvoir en Suisse.

Trajectoire migratoire hors normes

Jeune homme, il se lance dans l’humanitaire puis s’engage en politique en 1993, au Parlement des jeunes de Meyrin. Son cheval de bataille: le vote des étrangers, avec l’initiative «J’y vis, j’y vote». En 1997, il est élu au Grand Conseil, plus jeune député de l’assemblée d’alors. Après deux ans de présidence des Verts genevois, il accède au Conseil national en 2007. Quatre ans plus tard, il est réélu. Il doit démissionner en 2013, pour cause d’élection au Conseil d’État genevois. 

Sa personnalité ne laisse pas indifférent. Au cours des deux premières législatures, il deviendra vite un homme fort du gouvernement. Vif, éloquent, impulsif, il décoiffe. Lorsque l’affaire Maudet prend de l’ampleur, c’est la guerre ouverte entre les deux anciens camarades au Parlement des jeunes. Souvent véhément avec les médias et les députés, volontiers cash voire agressif, Antonio Hodgers est un sanguin. Il aime la lumière, il sait la capter.

Grosse ambition mais manque d'assiduité 

En 2019, il fait sensation en déclarant qu’il laisse la porte ouverte à une candidature au Conseil fédéral. Un coup d’éclat, probablement. Son ambition, il l’exprime plus volontiers à travers une vision politique qu’il veut porter loin qu’en fin connaisseur de ses dossiers. Beaucoup de députés déplorent son manque d’assiduité aux plénières et en commissions. Mais ces critiques n’atteignent pas l’élu, persuadé que l’action politique décisive se passe de laborieuses séances. Ce qu’il veut, c’est laisser une empreinte à long terme, même s’il sait que le temps politique suisse ne permet pas d’avancées décisives à un rythme soutenu. 

En 2020, un nouveau plan directeur de l’énergie voit le jour. En 2021, le gouvernement présente un plan climat très ambitieux, à son initiative. Mais en 2023, Antonio Hodgers subit un revers: la loi cantonale sur l’énergie est votée avec une modification, contre son avis. Fâché, le ministre est accusé par deux députés issus du milieu agricole de les avoir menacés. Le climat se détériore, mais sa mouture finit par l'emporter. L’an dernier, le gouvernement adopte un nouveau projet de loi sur le climat, dont l’objectif est d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050, fruit d’un compromis.

«Betonio» ou le développement maîtrisé de Genève

Sur l’aménagement, le ministre veut un développement maîtrisé de Genève. Plusieurs réussites lui valent paradoxalement le sobriquet de «Betonio»: plusieurs méga-quartiers dont il n’est pas à l’origine sortent de terre. Mais il accompagne et accélère leur mise en œuvre comme la Chapelle Les Sciers, les communaux d’Ambilly, les Esserts ou le quartier de l’Etang. Pourtant, en 2024, il reconnaît que la densification a été trop faible, soit 1% sur les 11% prévus. Cet échec ne l’empêche pas d’augmenter les exigences pour 2050. La même année, il obtient un accord avec la droite et les milieux immobiliers pour la rénovation énergétique des bâtiments. Sur le PAV, il fait en sorte d’accélérer les choses. Dans le même temps, il ne lâche rien sur la zone agricole qu’il faut protéger. Il obtient par exemple à Bernex la réduction de 30% de l’emprise du déclassement. 

A son crédit aussi, la convention d’objectifs passée avec les SIG en 2021, ainsi que la loi qui passera haut la main en votation populaire et attribue aux SIG le monopole sur les réseaux thermiques structurants. Un accord général sur la loi générale de la protection du climat est en bonne voie et la révision de la loi sur les eaux déposée. Une stratégie d'arborisation de la canopée est adoptée et un plan pour la biodiversité voit le jour.

Échecs et revers

Depuis le début de son troisième mandat, en revanche, les revers et échecs s’accumulent. L’an dernier, la droite lui vole dans les ailes en critiquant vertement sa Vision territoriale transfrontalière. En mars, il peut tout de même se vanter d’une diminution des émissions de CO2 de 27% par habitant.

Les fameux réseaux thermiques structurants, ce système de chauffage à distance censé offrir à Genève une énergie propre et locale, ne tardent pas à faire polémique. Leurs tarifs sont jugés excessifs, provoquant un débat explosif. Tout récemment, un autre sujet interpelle: le montant prévu pour la patinoire du Trèfle-Blanc bondit du double prévu. Antonio Hodgers est à la peine.

Avec son parti, il n’a pas toujours filé le parfait amour. On dirait qu’il s’y sent à l’étroit. Au dogmatisme moralisateur qui monte en puissance, que ce soit sur les avions, la consommation de viande ou le wokisme, le ministre préfère «l’écologie de l’espoir». Du nom d’un manifeste qu’il écrit en 2023 et qui prend en faux les chantres des interdictions et de la culpabilisation. Dans un blog assez personnel qu’il nourrit régulièrement, il s’écarte de la doxa du parti et se montre plus libre intellectuellement qu’attendu pour un ministre écologiste. 

Il n’aura pas été un conseiller d’État banal. Sa sortie lui ressemble. Fracassante, inattendue, inconséquente mais libre.