Genève

Face au risque incendie, le polystyrène inquiète les pompiers

01.05.2024 18h16 Céline Argento

poly

La rénovation des immeubles va s'accélérer dans les années à venir. Le polystyrène est souvent utilisé pour isoler les façades, car très performant. Mais les risques en cas d'incendie inquiètent les pompiers. L'école des Ranches avait été rénovée avec ce matériau

Londres, Roubaix, ou encore Valence en février dernier. Des feux dramatiques ayant fait plusieurs morts dans des tours d’habitation. De quoi mettre en alerte les pompiers genevois: «Depuis quelques années, nous avions dans nos radars ce phénomène de feu de façade au travers de différents incendies qui se sont passés en Europe.  On s’est demandé quand nous serions confrontés à un tel incendie. Depuis l’an dernier avec l’école des Ranches, on a découvert le potentiel et la rapidité du développement de ces incendies», explique le porte-parole du groupement SIS Nicolas Millot. 

Isolant à base de pétrole

La rénovation de l’école a été réalisée en 2018 avec des panneaux EPS, soit du polystyrène expansé: «Ce n’est pas l’isolant qui prend feu comme par magie, il faut lui mettre le feu. Mais comme c’est un isolant à base de plastique et donc de pétrole, il brûle» précise Eric Dubouloz, officier spécialisé pour le Service Incendie et Secours. 

Dans les incendies impliquant ces isolants, le feu se propage très vite et partout. Nicolas Millot: «C’est un feu qui va s’étendre en hauteur, et qui va pouvoir se propager à d’autres appartements. Là où actuellement, on évacue quelques appartements, là il faudra évacuer tout l’immeuble». 

Performant et pas cher

Mais alors, pourquoi utiliser ce matériau pour rénover ou construire des immeubles ? Même si sa production est très polluante, le polystyrène a de nombreux avantages. Sébastien Natta, architecte pour le bureau ATBA: «Il est très facile à installer car ce sont des blocs qui se collent à la paroi, ensuite recouvert de crépi. C’est aussi un matériau très performant énergiquement et peu cher». 

Un matériau miracle à l’heure où l’amélioration du bâti va être obligatoire. L’entreprise Maulini emploie le polystyrène dans la moitié de ses chantiers de façade. Pour contrer l’effet combustible, des éléments sont obligatoires: «Entre chaque étage, il faut poser une bande épaisse de matériau incombustible. Le crépi va aussi créer une couche empêchant le feu de se propager. Cela va permettre aux pompiers d’avoir le temps d’intervenir et surtout aux gens de sortir» explique le responsable façades Kevin Touzot. 

Les normes suisses de 2015 précisent aussi qu’il est impossible de poser du polystyrène sur les hôpitaux ou EMS, de même que sur des bâtiments de plus de trente mètres soit neuf étages environ. Des experts incendie sont aussi mandatés pour discuter avec les maitres d’oeuvre et architectes. Si les normes sont respectées, l’Etat donne son feu vert. Mais encore faut-il que les travaux soient réalisés conformément aux instructions et aux normes: «les fabricants donnent des consignes de pose pour le polystyrène, il faut bien suivre ces instructions. Si c’est le cas, alors il n’y a pas de raison de s’inquiéter» explique le chef de service de la police du feu Yvan Vesin. 

Alternatives au polystyrène

Pourtant le polystyrène n’est de loin pas le seul matériau utilisable. Des alternatives existent, plus complexes à mettre en oeuvre, plus chères…mais non combustibles comme la laine de roche ou de verre, ou les matériaux bio-sourcés comme la laine de chanvre et même les plumes. 

Peu de bâtiments nécessitent obligatoirement la pose de polystyrène selon les experts que nous avons consultés: «Sauf en cas de forte contrainte structurelle ou une situation contre le terrain, et encore, je pense que l’on trouve des alternatives au polystyrène à mon sens. Ce qui prévaut alors, c’est la logique de coût» explique Sébastien Natta. 

Assouplissement des normes en vue

Dans le contexte de rénovation accru du bâti, les promoteurs et propriétaires vont devoir se poser ces questions. D’autant que les normes incendies vont changer en octobre 2026. Yvan Vesin, de la police du feu: «Cela pourrait être des assouplissements moyennant des méthodes de preuve, comme des tests sur des façades grandeur nature montrant qu’il n’y a pas de risque pour les populations». 

Contactée, l’agence en charge de ces normes, l’AEAI se veut rassurante; « La publication de nouvelles prescriptions est précédée d’un processus extrêmement minutieux s’étalant sur plusieurs années.  Des ajustements ne seront effectués que là où cela est possible et acceptable en termes de risques.»

Sortir les grands moyens

Malgré toutes les précautions, le SIS prend la problématique très au sérieux et réfléchit aux futures méthodes d’intervention dans ces incendies: «Peut-être faire appel à des engins plus puissants ou engager plus de pompiers sur un incendie pour accéder plus vite dans les étages et faire sortir le public» explique le porte-parole du SIS. Autant d’éléments à prévoir, afin d’éviter un scénario comme vu ailleurs en Europe.