Découverte des entrailles du Salève au gouffre de Bellevue
Nous vous proposons de découvrir le Salève sous un autre angle: depuis ses entrailles. De nombreuses grottes sont répertoriées sur le massif, parmi elles le «gouffre le Bellevue». Un lieu désormais gardé et réservé aux spéléologues de la région. Nous avons pu les accompagner.
Installation et équipement en place, la descente est entamée.. non sans une certaine appréhension. Dans ce gouffre de Bellevue, la fin du premier puit offre une cavité à hauteur d’homme sur quelques mètres, puis se resserre en un long boyau. C’est sur les hauteurs de Monnetier, en France voisine, que l’on rencontre les gardiens de cet endroit singulier: André et Agnès Collin, tous deux anciens spéléologues détiennent l’accès au légendaire gouffre de Bellevue. Une grotte dont la découverte surprenante remonte à près de 150 ans.
«Le Salève est une montagne réputée sèche: avec des sources à la base, mais sèche tout de même. Puis un jour en 1888, un jeyser est sorti à l'emplacement du gouffre. Cela a vraiment intrigué, les spéléologues de Genève s'y sont intéressé plus tard, en 1932 environ. Un maçon local a d'abord maçonné l'entrée, rendant l'accès beaucoup plus facile».
Découverte historique
L’exploration se poursuit jusqu’à une première grotte où tombe la cascade représentée sur ce dessin. La profondeur atteint alors 85m. La société spéléologique de Genève ou d’Annemasse ont régulièrement exploré l’endroit, sans pour autant réussir à y progresser à cause d’un bouchon conséquent. «Jusqu'à ce qu'un gars un peu plus folo que les autres, habitant à proximité, se dise "c'est pas possible, il faut essayer de comprendre ce qu'il se passe là dessous"!», relate André en repensant à la scène.
Puis en 2008, il persévère un peu plus que les autres jours et découvre la suite du gouffre. «Je me suis acharné pendant deux heures, j'ai déplacé un caillou et là: un trou noir et un courant d'air important. Je me suis dit "je ne peux pas m'arrêter là. Il faut être sérieux, je vais prévenir les collègues". Et là, à la maison, le téléphone a chauffé!» se souvient André Collin. Une découverte révolutionnaire, tant en terme d’exploration que d’un point de vue géologique et hydrologique. Car le gouffre alimente aujourd’hui l’agglomération annemassienne en eau pour à peu près 20 à 25% de sa consommation annuelle.
Puits, boyaux et rivière souterraine
Là, au milieu des fourrés, l’entrée du puit est scellée et réservée aux professionnels, dont la Société Spéléologique Genevoise (SSG). Nous y poursuivons notre découverte, accompagnées par certains membres dont Ludovic Bartoli. Nous entamons ensuite la descente du troisième et plus long puit: 22 mètres avant d’arriver dans un espace bien plus vaste, désormais à 85m sous terre, avec une fine cascade en fond sonore. «Là toute l'eau autour de nous, ce sont les infiltrations qui se font dans le massif du Salève, qui vont remplir les nappes et tout ce réseau d'eau, puis il va construire ces rivières qui vont sortir en vallée», explique Ludovic, membre de la SSG et secouriste Spéléo-secours.
Un environnement que Ludovic connaît bien et que la spéléogie lui permet de découvrir un peu plus à chaque sortie. «Aucune grotte ne se ressemble et la spéléo c'est aussi le seul moyen de faire encore de l'exploration. En montagne, tous les sommets sont connus et ont été grimpés tandis qu'en spéléo on trouve encore des grottes ou suites de grotte toutes les années!» expose-t-il.
Le périple dans le gouffre ne s’arrête pas là. Quatre-vingt mètres plus bas se trouve une rivière souterraine, avant laquelle d’autres puits et boyaux nous attendent. En poursuivant la descente, le murmure de l’eau se fait bouillonnement. Et enfin… la voici. «La rivière est actuellement en crue et commence à monter», nous indique Ludovic Bartoli. Pas de temps à perdre, il faut rebrousser chemin. Et nous émergeons après plus de 5 heures sous terre.
Gardiens du gouffre
Ce gouffre, Agnès Collin le connait par cœur, pour y être allé plus d’une centaine de fois. «À partir du moment où l'on commence à explorer et l'on voit que ça continue, on n'a qu'une envie: y retrouner le week-end d'après, enlever des cailloux, sentir s'il y a un courant d'air! On y est retourné jusqu'à ce que l'exploration soit devenue trop difficile pour nous» relate l'ancienne spéléologue.
Voilà près de 10 ans qu’elle a arrêté de lui rendre visite. Mais la relève est assurée par les mordus de spéléologie de la région. Si le gouffre est aujourd’hui gardé par les Collin et un autre spéléologue du coin, c’est parce qu’une convention a été passée entre la Fédération de spéléologie et les propriétaire du terrain où se trouve l’entrée. «Ils se sont dit, "finalement qui sont les plus près pour garder les clefs?" C'était nous! Depuis, on est les détenteurs de la clé du bonheur» nous dit malicieusement André Collin.