Genève

Genève surfacture le chauffage selon Monsieur Prix

19.02.2025 14h54 Jérémy Seydoux, Denis Palma, Laure Lugon Zugravu, Michel Thorimbert

Meierhans, Cramer, Hodgers

En juin dernier, le surveillant fédéral des prix invite le Conseil d’État à revoir significativement à la baisse son projet de tarifs pour le chauffage à distance, jugé exagérément cher. Mais une majorité du gouvernement, emmenée par Antonio Hodgers, s'assied sur ces recommandations. Jusqu’à 25% de surfacturation dénoncée et, à terme, une explosion des coûts pour les ménages. 

D’ici 2050, la moitié des immeubles genevois seront alimentés en énergie propre et locale. Un vaste réseau de chauffage à distance qui réutilise la chaleur des usines d’incinération ou encore le froid du lac, les fameux programmes Géniterre et Génilac.

C’est le résultat d’une votation populaire qui a donné en 2022 aux SIG le monopole sur les réseaux thermiques structurants (RTS). Investissement: 2 millards de francs. Les tarifs sont décidés par les SIG. Le Conseil d’État les approuve par l’entremise de son ministre de l’énergie Antonio Hodgers. Ils ont été présentés en décembre 2024. Entrée en vigueur: 1er janvier 2025. 

Raccordement obligatoire et coûteux

Pour le consommateur final, c’est la douche froide. Nos collègues du Courrier ont été les premiers à avoir soulevé la question. D’abord, des frais de raccordements exorbitants. Une maison individuelle doit débourser 100'000 francs pour accéder à ce réseau, contre une moyenne de 15’000 francs ailleurs en Suisse. 

Les gros immeubles, eux, doivent débourser jusqu’à 145’000 francs. Pour rappel, le raccordement est obligatoire si le bâtiment se trouve le long du réseau de chauffage.

Une énergie beaucoup plus chère

Sur la facture, les prix promettent aussi de prendre l’ascenseur. Une régie de la place a accepté de nous fournir les données d'une dizaine d'immeubles représentatifs. Nous en avons choisi trois, avec trois chaudières différentes. 

Ces exemples chiffrés présentés dans notre reportage, montrent que le chauffage à distance coûte plus du double que le chauffage au mazout et se situe bien au-dessus du chauffage à gaz. Si le tarif de base du chauffage à distance est relativement bas, les SIG y rajoutent un supplément par kilowattheure appelé « frais d’abonnement de surface ».

Les locataires captifs tributaires 

Lorsque les immeubles chauffés au mazout et au gaz changeront de système de chauffage, au plus tard d’ici 2050, les prix prendront l’ascenseur en conséquence. Les locataires paieront l’addition. 

Nos exemples montrent également que les éventuelles rénovations effectuées sur les bâtiments, amenant de facto des économies d’énergie donc des baisses de consommation, ne permettront pas d’absorber la hausse des tarifs. 

500 francs supplémentaires annuels pour un quatre-pièces

L’exemple d’un quatre-pièces de 75m2 que nous avons analysé est éloquent. Il est situé dans un bâtiment déjà rénové, donc sans futur potentiel d’économie d’énergie. 

Le passage du mazout au chauffage à distance coûtera à cette famille 500 francs de plus par an (+33%), soit un saut de 1’500 francs à 2’000 francs, sans que sa consommation ne change. Il ne s’agit ici de loin pas d’un exemple extrême.

Monsieur Prix dénonce des tarifs trop élevés

Cette situation n’a pas manqué d’inquiéter dès juin 2024 le surveillant des Prix, Stefan Meierhans. Consulté par Antonio Hodgers comme le veut la loi avant la fixation des tarifs, le surveillant fédéral rédige un rapport de 9 pages sévère.

Il y critique notamment la complexité des calculs genevois: «Il est important que les tarifs soient compris par les clients et que les feuilles tarifaires soient simples, sans être truffées de termes techniques et de formules mathématiques». Ou encore: «Le surveillant des prix considère ces arguments comme alambiqués et difficiles à vérifier.» 

Stefan Meierhans Stefan Meierhans, surveillant des prix depuis 2008, dans son bureau à Berne.

Sur les prix pratiqués, il souligne: «Le tarif genevois est plus élevé que les tarifs suisses des réseaux thermiques». Il poursuit: «Les caractéristiques du projet (service public), la situation monopolistique des SIG et l’évaluation annuelle des tarifs ne le justifient à notre avis pas». Il tacle enfin: «Les primes supplémentaires décidées par les SIG s’écartent des paramètres usuels. (…) Ajouter des primes amène de l’avis du Surveillant des prix à un rendement disproportionné.»

Le Conseil d’État voit les choses différemment 

En tout, Monsieur Prix dresse 6 recommandations, parmis lesquelles simplifier la méthode de calcul, réduire le coût de raccordement exorbitant, créer une catégorie pour les petits propriétaires, et baisser drastiquement les tarifs jusqu’à 25%.

Malgré ces explications, une majorité du gouvernement s’assied sur les recommandations de Monsieur Prix et décide de maintenir son projet de tarification tel quel. Il se justifie dans un courrier de réponse: «Les coûts réels pour les raccordements sont importants, car les travaux sont coûteux dans le contexte très urbain de Genève.»

Le gouvernement conteste également les constats de surfacturation mis en évidence par le Surveillant des prix: «Le Conseil d’État considère que les tarifs tels qu’adoptés sont justes et proportionnés.»

«Monsieur Prix est hors sol dans son appréciation» 

Antonio Hodgers Antonio Hodgers, conseiller d'État genevois en charge du territoire, ministre de tutelle des SIG.

Sollicités, Antonio Hodgers, conseiller d’État en charge de l’énergie et Robert Cramer, président des SIG, nous reçoivent au siège du département du territoire.

Ils balaient les chiffres avancés par le Surveillant des prix et assurent que les prix genevoise sont alignés avec les prix nationaux, tout en soulignant l’ampleur «unique» et «incomparable» du projet de chauffage à distance déployé à Genève.

Selon le conseiller d’État Antonio Hodgers, «Monsieur Prix est hors sol dans son appréciation», il avance que «si les SIG appliquent les tarifs du surveillant des prix, ils seront déficitaires et le contribuable devra compenser cette perte. Le Conseil d’État ne le veut pas.» 

Tendre vers une baisse

Certains cas extrêmes seront «traités», promet Antonio Hodgers tout en espérant pouvoir tendre à terme vers une baisse des tarifs. «Cela demande un peu de temps. On va ouvrir les rues, mettre les tuyaux, et sur la base des vrais chiffres, nous pourrons poursuivre le dialogue avec le surveillant des prix.»

Les deux Verts insistent sur certains principes: «Ce projet vise à offrir une énergie locale et renouvelable. Les tomates GRTA produites à Genève sont plus chères que les tomates cultivées en Espagne dans des conditions sociales et environnementales inacceptables.»

«Si notre système ne permet pas de faire des prix plus abordables, ce n’est peut-être pas le bon système»

Diane Barbier-Mueller La députée PLR Diane Barbier-Mueller.

Sur les bancs du parlement, cette tarification fait grincer des dents. Diane Barbier-Mueller, députée PLR et membre de la direction d’une régie, a déposé une motion demandant au Conseil d’État de revoir à la baisse les prix, comme le préconise Monsieur Prix. Le texte sera traité lors de la prochaine session du Grand Conseil.

«Il est faux d’affirmer que Genève est aligné sur les autres cantons. Aucun de ceux qui ont mis en place des réseaux de chauffage à distance n’ont des prix aussi élevés», rectifie la députée. Elle enfonce le clou: «Si notre système ne permet pas de faire des prix plus abordables, ce n’est peut-être pas le bon système.»

«Ce n’est pas à la population de payer pour le train de vie des SIG» 

S’agissant de la situation des SIG, son constat est sévère: «Les SIG, en situation de monopole, ont gonflé les prix pour subventionner leurs investissements, alors qu’ils font des dividendes chaque année. Ce n’est pas à la population de payer pour le train de vie des SIG.»

Sur la philosophie à la base de ce réseau, elle estime que «la population est prête à faire un effort pour l’écologie, pour autant qu’elle n’ait pas à en payer un prix trop conséquent.»

Désaccord autour du cas des petits propriétaires 

Quant aux frais de raccordement exorbitants, notamment pour les maisons individuelles, SIG et État promettent que les petit propriétaires ne seront pas lésés: «Ce cas théorique est objectivement faux. Dans la pratique, cela ne se produira jamais, ce serait illégal», tonne Robert Cramer. 

De son côté, Diane Barbier-Mueller doute de ces intentions: «Aujourd’hui, la règle dit que les frais de raccordements obligatoires sont de 100’000 francs. J’entends que des dérogations seraient accordées, mais cela reste soumis à l’appréciation du département.» 

Le débat autour de ce nouveau réseau de chauffage promet d’être brûlant.