Genève

Il y a 20 ans, la faillite du Servette: retour sur la rocambolesque story Ferrayé

07.02.2025 19h21 Denis PALMA

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Il y a 20 ans, la justice prononçait la faillite du Servette FC. Quelques jours avant cette faillite, le 24 janvier 2005, le président du club de l’époque Marc Roger avait convoqué la presse pour présenter un miraculeux sauveur du club: Joseph Ferrayé. Sur le plateau de Léman Bleu ce soir-là, les téléspectateurs découvrent en direct qu’il n'a pas un centime en poche. Une séquence culte que plusieurs protagonistes de l’époque ont accepté de nous faire revivre. 

Générique: flash spécial «Servette FC». Le présentateur de vedette de l’époque Michel Chevrolet annonce, comme un soulagement, le sauvetage du club grenat économiquement à l’agonie. Sur le plateau les acteurs de la «tragi-comédie» qui va se jouer devant les téléspectateurs sont en place: Le Boss du Servette de l’époque Marc Roger, son avocate Me Marguerite Fauconnet et bien sûr l’ investisseur providentiel en la personne de Joseph Ferrayé, écharpe du Servette autour du cou.  

Ferrayé estime sa fortune 34 milliards de dollars  

Ce Franco-Libanais, domicilié à Genève, affirme être l'inventeur d'un système qui a permis d'éteindre les puits de pétrole en feu au Koweït en 1991 lors de la guerre du Golfe. Invention vendue au Koweit, assure Ferrayé: «il y avait 1164 puits qui ont été éteints grâce à mon invention. Nous avons demandé 30 millions de dollars sur chaque puits, si vous multiplier 1164 par 30 millions, cela donne 34 millions de dollars», dit-il d’une voix fluette. 

34 milliards de dollars, c’est l’estimation de la fortune de Joseph Ferrayé par lui-même. Une heure plus tôt, Marc Roger annonçait en grande pompe devant la presse le sauvetage du club. «Aujourd’hui, dit-il solennellement, j’ai envie de vous dire que le club est sauvé grâce à un montant de 147 millions de francs suisses, lâche l’ex-boss des grenat sur une estrade avec à ses côtés Joseph Ferrayé. Le tout devant une assemblée de médias, joueurs du club et suiveurs médusés.

Le journaliste Daniel Visentini était présent. Joseph Ferrayé avait immédiatement attiré son attention: «je me rappelle qu’un petit monsieur avec un manteau noir est arrivé avec un manteau noir au tissu boursoufflé. Il y avait des trous rapiécés avec du fil blanc. Cela m’avait choqué, se rappelle-t-il. Ses souliers étaient en plastique usés. Qu’est-ce que ce monsieur, se dit-il septique. Je ne sais toujours pas pourquoi il vient sur cette estrade pour dire qu’il va infecter 147 millions de francs. On est peut-être là au niveau de la maladie mentale. Et lorsqu’on lui demande pendant la conférence de presse: vous les avez? Il répond: non!»

La réponse culte: «Je n’ai pas le premier centime de cette somme.» 

Sur le plateau de Léman Bleu, Michel Chevrolet poursuit son questionnement lui aussi avec scepticisme. Mais rapidement tout espoir s’éteint: «avez-vous l’argent, demande le présentateur ? L’argent existe, nous avons plusieurs déclarations du notaire Pierre Mottu», répond Joseph Ferrayé. Joint par téléphone en direct, Pierre Mottu ramène tout le monde à la réalité avec cette phrase devenue culte.  Vous possédez cet argent qui doit être versé au Servette, interroge Michel Chevrolet. Réponse du notaire: je n’ai pas le premier centime de cette somme.»  

Une déception de plus pour les joueurs du club qui regardent la scène en direct à la télévision. Tibert Pont est à l’époque un jeune pro de 21 ans. «On touchait le fond. Il ramenait un investisseur qui a en fait de l’argent virtuel», raconte l’ex-joueur grenat. Il évoque, dans la foulée, l’ambiance qui régnait dans le vestiaire durant ces derniers mois avant la faillite. Car les joueurs tels que Christian Karembeu, Fiorel Moldovan ou Stéphane Ziani comme l’ensemble de l’effectif n’étaient plus payés depuis plusieurs mois.

Tibert Pont se souvient aussi d’une anecdote: «Roberto Merino s’était dessiné un dollar qu’il s’était accroché au dos à l’entrainement pour le montrer aux caméras de la télévision en disant: regardez nous ne sommes plus payés!  Cela montrait bien à quel point les joueurs étaient exaspérés par la situation financière du club.»    

François Canonica: «c’est la confrontation de ces deux mythomanes»

Me François Canonica, célèbre avocat des joueurs du Servette, était lui aussi devant son poste ce soir-là. 20 ans après, il porte un regard sarcastique sur cet épisode. «L’épilogue, c’est la confrontation de ces deux mythomanes à la simple réalité qui était que le notaire n’avait pas ces sommes d’argent, analyse avec recul celui qui est devenu par la suite la bête noire de Marc Roger. Et tout Genève a éclaté de rire.»   

Par la suite Marc Roger a été emprisonné puis condamné. Quelques jours plus tard, la faillite du Servette FC sera prononcée.