Genève

«L’État ne doit pas être un guichet où les privés viennent vendre leur marchandise»

16.12.2024 19h51 Rédaction

La journaliste Laure Lugon, à l’origine aux côtés de Léman Bleu, des premières révélations sur l’octroi problématique de mandats par l’État, revient sur les conclusions de l’audit de la Cour des Comptes.

Cet audit discrédite l’État dans son ensemble, sans dénoncer des cas pénalement répréhensibles. C’est aussi et surtout le ton, le vocabulaire, les soupçons induits qui fâchent l’exécutif. Ce n’est pas la première fois que la Cour des comptes est accusée de faire du commentaire et ça déplaît.

Mais ce qui intéresse les Genevois, c’est le fond, pas les querelles de forme. Or deux problèmes soulevés méritent l’attention: des subventions déguisées, dans 15 cas, et des mandats qui ne correspondent pas à un réel besoin, dans la moitié des cas étudiés.

On avait déjà nourri de gros doutes à l'époque du mandat attribué par Fischer à l’association promouvant la monnaie Léman. À quel moment l’État de Genève s’était dit que ce serait une bonne idée de dépenser de l’argent dans une idée loufoque? Envie n’est pas nécessité. L’État ne doit pas être un guichet où les associations ou les privés viennent vendre leur marchandise. Sinon c'est la porte ouverte à un système clientéliste.

Sur ces deux points, le gouvernement a admis les recommandations. C’est donc qu’il admet le problème.

L’État de Genève a-t-il trop d’argent, pour être si peu sourcilleux? 

Le contribuable est en droit de se poser cette question ce soir. Comment se fait-il que l’État de Genève, plus replet que beaucoup d’autres cantons, dépense près de 200 millions de francs par an en prestations de services et honoraires? 

Le canton dispose de ressources internes énormes. Chaque année depuis dix ans, environ 500 nouveaux employés sont recrutés. Genève affiche un taux de fonctionnaires par habitant qui ne souffre aucune comparaison. Chaque habitant paie 9'554 francs par année pour le personnel cantonal et communal. Devant Bâle, Neuchâtel, Zurich et Vaud. Ceux qui sont en queue de peloton font avec moins de la moitié, comme l’Argovie et Schwyz, avec 3'653 francs par habitant. 

Alors, pourquoi dépenser autant en mandats externes? La Cour des Comptes donne un chiffre inquiétant: dans 40 cas sur 84 commandes testées, l’État n’a pas pu démontrer que la réalisation des travaux à l’interne avait été envisagée avant d’avoir recours à un tiers. Il y a sans aucun doute des économies à faire de ce côté-là.

Faut-il des règles plus strictes?

Si c’est pour ajouter une couche de bureaucratie, Genève n’en a pas besoin. Là-dessus, on peut comprendre les réticences du Conseil d’État. Les processus compliqués, les contrôles des contrôles, les régulations à outrance sont un gaspillage d’argent et nuisent à l’efficacité. Ce qui est vrai dans le secteur privé l’est à fortiori dans le secteur public. De plus, ça déresponsabilise les employés. Il y a suffisamment de hauts fonctionnaires à l’État qui soient compétents, sérieux, capables de discernement dans l’attribution de mandats.

Là où se trouve une piste d’amélioration, c’est au niveau d'une centrale publique d'achats et du fonctionnement en silos des départements. Le Conseil d’État avait déjà dit son intention d’y mettre fin. C’est la gestion des deniers publics qui est en jeu.