Genève

La communauté chilienne de Genève commémore les 50 ans du coup d'État

08.09.2023 18h28 Lucie Hainaut

Chili Chili

Cette année marque le cinquantième anniversaire du coup d’État au Chili. Plusieurs associations organisent des manifestations et des projets commémoratifs, car Genève regroupe une importante communauté issue de ce pays. Au programme des conférences, des spectacles, des manifestations et une exposition.

C’était il y a 50 ans: le 11 septembre 1973, des militaires renversent le gouvernement socialiste de Salvador Allende. À la suite de ce coup d’État, le général Augusto Pinochet prend la tête du Chili. S’en suit une répression sanglante: L’armée cible notamment les militants de gauche dont fait partie Ariel Sanzana, qui vit aujourd’hui à Genève. Il est incarcéré en janvier 1975, il n’a pas 25 ans à l’époque. Il passe deux ans en prison avant de se réfugier en Suisse: «Lorsque je suis arrivé ici comme exilé politique, j’avais quelques objets sur moi. Ils n’étaient pas très nombreux, mais ils représentaient des souvenirs. Cette cravate à l’époque était élégante, moi je l’aimais beaucoup. Peut-être que je l’ai prise comme une sorte d’amulette, de talisman. Elle ne m’a pas vraiment servi, puisque j’ai été fait prisonnier avec mais bon… On croit en ce qu’on peut» se souvient l’homme, aujourd’hui âgé de 73 ans. 

Un atelier de théâtre pour survivre en prison

Pendant ses deux ans de détention il organise des ateliers de théâtre avec des codétenus. Pour s’occuper, mais aussi pour faire passer des messages politiques au nez et à la barbe des gardiens. Ils jouent une pièce d’un certain Emil Kahn: «En réalité c’était un jeu de mot parce que le camp de concentration où on était s’appelait Melinka. Alors Emil Kahn, Melinka… Lorsqu’on a présenté à la censure du commandant du camp l’autorisation pour monter cette pièce de théâtre, il disait "oui oui Emil Kahn je connais, j’ai lu cet auteur!". Alors ça nous faisait beaucoup rire parce qu’il ne se rendait pas compte qu’on se payait sa tête» sourit Ariel Sanzana. 

«On a beaucoup souffert»

L’anecdote est drôle, mais elle cache la réalité de l’emprisonnement des opposants politiques sous Pinochet: «Il y a des gens qui nous disent: ah mais vous vous êtes beaucoup amusés! Oui et non. On ne s’est pas beaucoup amusés, on a beaucoup souffert. Mais par moment on s’est amusés oui» souligne l’homme, soudainement songeur.

«Une façon d’exercer un droit absolu de vie et de mort»

Ariel ne s’en tire pas trop mal: il survit à ses deux ans d’emprisonnement. D’autres n’ont pas cette chance. Des camarades de cellule disparaissent, mais pas lui. Un choix qu’il ne s’explique toujours pas, près de 50 ans plus tard: «Je ne sais pas pourquoi eux mais pas moi. Peut-être qu’à ce moment je n’étais pas intéressant, peut-être qu’ils n’avaient pas fini de m’interroger, peut-être que... Mais quand je pense à d’autres qu’ils n’avaient pas fini d’interroger, ils ont quand même disparu. Je crois que c’était une façon d’exercer un droit absolu de vie et de mort» réfléchit tout haut Ariel Sanzana.

Se souvenir des disparus

Les disparitions forcées étaient monnaie courante pendant la dictature: à l’heure actuelle, le sort de plus d’un millier de personnes n’a toujours été élucidé, selon Amnesty International. Pour rappeler cette réalité, une marche s’est organisée au départ du jardin des disparus, à Meyrin. Jenny Bettancourt a perdu son frère: elle connaît bien les conséquences des disparitions forcées sur les proches. «L’oublier c’est le faire disparaître une deuxième fois. Pour moi c’est capital de communiquer, de faire savoir qu’il y a encore des disparitions forcées dans le monde. Et puis on ne fait jamais le deuil. Tant qu’on n’a pas de nouvelles on se dit qu’il peut toujours être quelque part, on se dit qu’il a peut-être pu partir, qu’il va revenir… Et puis pour nous intérieurement c’est comme s’il était toujours vivant» détaille-t-elle, émue.

L’association Chili Genève organise des conférences, des spectacles et des manifestations pour commémorer les 50 ans du coup d’État. Une exposition est à retrouver à l’espace le Commun à la rue des Vieux-Grenadiers, pour découvrir ou redécouvrir l’histoire des exilés chiliens à Genève.