Le diable s'invite dans un cours au cycle de l'Aubépine
Des vidéos complotistes farfelues diffusées par une enseignante du Cycle d’orientation de l’Aubépine suscitent le tollé parmi des parents d’élèves. Le DIP condamne les propos et évoque des sanctions.
Au Cycle d’orientation de l’Aubépine, mardi 28 janvier, des élèves de 10e année se préparent à recevoir un cours d’allemand autour de Goethe. En marge de cette œuvre littéraire majeure, leur professeure leur avait promis «une surprise».
Ils n’auront pas été déçus: «La surprise promise consistait en des propos ridicules appuyés par une vidéo selon lesquels le diable aurait aidé Steeve Jobs à développer Apple, que l’intelligence artificielle était une émanation satanique et que le Malin communiquait à travers nos rêves nocturnes», racontent des parents d’élèves, choqués par le récit de leurs enfants et requérant l’anonymat.
Le lien entre ces théories farfelues et le génie allemand de la littérature? Difficile de le comprendre, même si la professeure aurait avancé que l’écrivain était franc-maçon et membre des Illuminati. La séquence vidéo a été brève, l’enseignante ayant averti les élèves qu’elle craignait la vindicte des parents tout en les encourageant à regarder d’autres contenus du même style.
La colère ne s’est pas fait attendre, en effet. Alertés, plusieurs parents écrivent individuellement à la direction de l’école le 29 janvier. Certains réclament des mesures urgentes contre l’enseignante, d’autres, une explication de texte à l’adresse des élèves qui puisse corriger cette séquence grotesque. «Les enfants étaient morts de rire et ont trouvé les propos de cette vidéo ridicules, raconte un parent. Mais nous avons été choqués en découvrant la source de ce contenu.»
Salmigondis classique de théories du complot
Cette vidéo, publiée sur la chaîne kla.tv, émane d’une secte complotiste et antisémite basée à Walzenhausen en Appenzell Rhodes-Extérieures. Baptisée «La Génération du Christ Organique» (OCG) par son fondateur, Ivo Sasek, cette secte de Suisse orientale est considérée comme l’une des plus dangereuses d’Europe, selon plusieurs journaux alémaniques. Diffusée largement grâce à un réseau de sites web, de studios de télévision et d’une maison d’édition, ses contenus, traduits dans vingt-huit langues, atteindraient un public de millions de personnes.
Ses messages sont un salmigondis classique de théories du complot, d’enseignements fondamentalistes chrétiens, de satanisme, d’antisémitisme - une accusation contre laquelle le gourou se couvre en accompagnant certaines vidéos de mises en garde affirmant que «ces émissions n’ont pas pour but d’inciter le téléspectateur à adopter des jugements antisémites».
La chaîne s’attaque aux médias mainstream qualifiés de menteurs, invite des négationnistes de l’Holocauste et adopte des positions d’extrême droite. Certaines vidéos transpirent l’obsession des juifs et la hantise d’une élite obscure désireuse «d’installer à Jérusalem un gouvernement mondial central avec une religion unique pratiquée de manière occulte». Trois des onze enfants du gourou ont quitté la secte et témoigné dans la presse alémanique de l’emprise et des châtiments corporels subis dans l’enfance. Leur père les auraient aussi encouragés à lire Mein Kampf, selon la NZZ.
Le DIP investigue et promet des sanctions
Devant les missives de parents inquiets, le directeur de l’Aubépine, Frédéric Indermühle, leur a répondu: Des mesures ont été prises dès aujourd'hui afin de gérer cette situation et de la traiter avec l'importance qu'elle mérite. Nous reviendrons vers vous dans nos meilleurs délais.» Pourtant, selon nos informations, l’enseignante dispensait encore des cours ce mercredi.
Quelles mesures ont été prises? Quelle est la réaction de l’école en pareil cas de dérive? Contacté, le Département de l’Instruction publique n’a pas souhaité que le directeur s’exprime mais nous a répondu par écrit: «Le DIP suit la situation avec attention. Il condamne fermement la tenue de ce type de propos. Des investigations sont en cours et des sanctions seront prises en conséquence.»
«Si des enseignants, qui devaient au départ parler de Goethe, finissent sur un site complotiste, c’est ahurissant»
En pleine campagne des municipales, le député et conseiller municipal UDC Christo Ivanov, lui, n’a pas attendu les résultats de l’enquête pour déposer une question écrite urgente au Conseil d’État: «Un enseignant a le droit d’avoir des convictions, mais il n’est pas là pour véhiculer ce genre d’informations. Si des enseignants, qui devaient au départ parler de Goethe, finissent sur un site complotiste, c’est ahurissant. Le DIP doit faire un véritable travail de sensibilisation et de responsabilisation des enseignants.»
Une affaire embarrassante, qui s’ajoute à de plus anciennes situations auxquelles le DIP a dû faire face. On se souvient de l’enseignante Chloé Frammery, licenciée pour ses propos coronasceptiques et antivax, dont le recours avait été rejeté par le Tribunal fédéral.