Genève

Le procureur requiert 18 mois de prison contre Tariq Ramadan

17.05.2023 18h00 Julie Zaugg avec ATS

Le premier procureur Adrian Holloway a requis une peine de prison de trois ans, dont 18 mois ferme à l'encontre de l'islamologue Tariq Ramadan, jugé pour viol et contrainte sexuelle par le Tribunal correctionnel de Genève. Le théologien a plaidé son acquittement.

La faute de Tariq Ramadan est lourde. Il a profité de son aura pour abuser de sa victime. Il a traité la plaignante comme un objet, a déclaré le représentant du Ministère public. Dans son réquisitoire, le magistrat a insisté sur la constance, tout au long de la procédure, des déclarations de la plaignante, une femme de 57 ans convertie à l'islam. Il a également souligné la crédibilité des propos tenus par Brigitte*.

Selon le représentant du Ministère public, la plaignante a toujours dit que sa relation avec Tariq Ramadan était intellectuelle et qu'elle ne cherchait pas à avoir des relations sexuelles avec lui. Le procureur a notamment cité des messages échangés entre elle et l'islamologue pour appuyer ses dires.

Le magistrat a admis que Brigitte* vouait une grande admiration à Tariq Ramadan. Certains des messages envoyés par la plaignante à l'islamologue sont suggestifs. Mais la justice est là pour protéger toutes les personnes victimes d'un viol, y compris celle qui font du rentre-dedans.

Alors 3 ans avec sursis partiel, cela signifie ici que 18 mois de prison ferme ont été requis ainsi que 18 mois de sursis. Sorte d’épée de Damoclès où, si le prévenu réitère un mauvais comportement, il devra accomplir les fameux 18 mois en peine privative de liberté.

«Torture et barbarie»

Appelés à s'exprimer mercredi devant le Tribunal correctionnel de Genève, les avocats de la femme qui dit avoir été violée par Tariq Ramadan ont dressé un portrait inquiétant du prévenu. «Nous sommes ici face à un violeur manipulateur», a déclaré François Zimeray.

«Il y a des violeurs dont la satisfaction des instincts passe par la souffrance des victimes, et c'est le cas de Tariq Ramadan», a poursuivi l'avocat français. Et d'avouer qu'à l'évocation du dossier de l'islamologue, qui aurait maltraité des femmes dans plusieurs pays, les termes «torture et barbarie» lui viennent à l'esprit.

M. Zimeray a aussi été frappé par «la peur et la tension» qui ont imprégné cette affaire. La plaignante, une femme de 57 ans que les médias ont surnommé Brigitte*, a été la cible de quantité de menaces et d'intimidations.«La milice du net» était en embuscade, entre «les tic-tac tic-tac» et les messages prédisant un accident.

Quant au traquenard qui aurait été tendu par des femmes pour salir l'islamologue, en déclarant qu'il les avait agressées, M. Zimeray a indiqué ne pas y croire un seul instant. Pour qui auraient-elles voulu faire tomber Tariq Ramadan, s'est interrogé l'avocat. Il s'agit simplement «de témoignages convergents».

Double jeu

Lors de sa plaidoirie, Catalina de la Sota a souligné l'habilité de Tariq Ramadan à inverser les rôles entre victime et accusé. L'avocate a aussi relevé la duplicité du prévenu qui s'écarte des principes qu'il prêche lorsque ça l'arrange, par exemple quand il s'agit d'avoir des rapports sexuels en période de règles.

Cette personnalité double a aussi marqué l'avocat Robert Assaël. En public, Tariq Ramadan use d'un vocabulaire châtié, dans l'intimité d'une chambre d'hôtel, il peut couvrir une femme d'un torrent d'insultes et d'injures, comme «s'il était possédé» et perdait le contrôle de lui-même.

L'avocat s'est aussi dit persuadé que Brigitte n'a pas pu inventer un «pareil récit», en faisant référence à la nuit d'horreur qu'elle affirme avoir passé avec le prévenu en octobre 2008, dans une chambre d'hôtel à Genève. La plaignante «n'en rajoute pas» et pour M. Assaël, il s'agit d'un signe de crédibilité.

Ni témoignage, ni preuve, selon la défense

Ces propos sont inconcevables selon la défense. Me Hayat, Badan et Canonica, avocats de l'islamologue, ont plaidé dans l’après-midi. Me Yael Hayat estime que «le mouvement MeToo se tourne, détourne, contourne des principes cardinaux. La présomption d’innocence a été sacrifiée au nom de ce mouvement».

Il est aussi question d’une hystérie collective, d’une alliance implacable. Celle de ces femmes contre Tariq Ramadan. Une véritable entreprise, en marche depuis dix ans. Il n’y a ni témoignage ni preuve, il n’y a qu’une seule chose qui subsiste dans cette affaire, ce sont les écrits. Sorte de boîte noire, dit Hayat. Et dans les échanges entre les deux protagonistes il ne s’agit pas de lire entre les lignes, mais d’un délire. Enfin, la grande question de Me Badan et Canonica c’est l’emprise de l’islamologue. Mais pour la défense, il faut distinguer être éprise et être sous emprise.

Le tribunal aura la lourde tâche de trancher et juger le prévenu dès la fin des débats ce soir. Le verdict est prévu mercredi prochain.