Genève

Les Iraniens de Genève déchirés entre effroi et espoir

16.06.2025 18h23 Laure Lugon Zugravu, Denis Palma

epaselect ISRAEL IRAN CONFLICT

Les Iraniens de Genève sont traversés par des sentiments douloureux et contradictoires. Ils savent que leurs compatriotes et leurs familles paieront le prix de l’escalade militaire suite à l’offensive d’Israël contre l’Iran. Mais certains espèrent aussi que le régime des mollahs vacille.

Depuis quatre jours, Téhéran est sous le feu israélien. Des cibles militaires et des sites nucléaires ont été bombardés, en plus des opérations commando. Et surtout, l’État hébreu a lancé une série d’assassinats ciblés de hauts gradés, les Gardiens de la révolution, de chefs d’état-major, de dirigeants de l'Organisation iranienne de l'énergie atomique, de commandants, de scientifiques réputés. Lundi soir, le siège de la radiotélévision d'État a aussi subi une attaque, selon des sources iraniennes. Cette opération d’énorme envergure a été planifiée par le Mossad, le puissant service de renseignement israélien. 

La riposte ne s’est pas fait attendre. Une pluie de missiles iraniens s’est abattue sur les grandes villes israéliennes, provoquant de plus en plus de destructions, à Tel Aviv et Haïfa.

À Genève, les Iraniens, à l’image du syndicaliste Jamshid Pouranpir, sont partagés entre la peur pour leurs proches et l’espoir vague de voir le régime des mollahs sombrer: «C’est un sentiment ambivalent parce que certains dirigeants, autrement dit l'armée idéologique du régime, ont été tués. Donc pour le peuple iranien, c'est plutôt une bonne nouvelle, mais en même temps la pression est sur le peuple. Les Iraniens craignent que leur pays ne ressemble à Beyrouth, avec des destructions, avec la mort de civils.» Lundi, des milliers de personnes fuyaient la capitale.

«Il n'y a plus de contestation du régime, parce que c'est le réflexe de survie qui prévaut»

Jamshid Pouranpir identifie aussi une autre conséquence fâcheuse de cette guerre contre l’Iran: «Tout le mouvement d'opposition iranien a été paralysé. Il n'y a plus de grève, il n'y a plus de manifestation, il n'y a plus de contestation du régime, parce que c'est le réflexe de survie qui prévaut. Les gens font des files incroyables devant les stations-services pour faire le plein d'essence. Ce que fait le gouvernement israélien profite au régime iranien pour tuer dans l'œuf toute opposition au régime.»

Du côté kurde, la vision est tranchée. C’est le cas de Cajal, une Kurde iranienne réfugiée en Europe depuis trente ans. Elle voit dans ce conflit une lueur d’espoir pour son peuple, discriminé en Iran: «Même si on sait que dans la guerre, tout le monde peut être victime et sacrifié, nous pensons que ça ne peut être que bénéfique pour les Kurdes. Ça peut être une occasion, que ce soit par la force ou par obligation, d'avoir quand même un territoire kurde et par la suite de pouvoir négocier une certaine indépendance ou autonomie indirecte, comme ce qui s'est passé en Syrie ou en Irak.»

«On ne veut pas la guerre. Mais les mollahs sont pires que la guerre»

Plusieurs Iraniens de Genève pointent la double peine de leurs compatriotes: otages de la république islamique, ils sont maintenant menacés par le feu israélien. Beaucoup ne veulent témoigner que sous couvert d’anonymat, craignant pour leurs proches. Cette femme qu’on appellera Parisa explique: «Cette guerre est celle d’Ali Khamenei, le guide suprême. Les mollahs l’ont cherchée, en appelant à la destruction d’Israël. On ne veut pas la guerre. Mais les mollahs sont pires que la guerre. On vit une tragédie, mais en même temps c’est une bénédiction. Ce double sentiment est terrible.» A l'appui de ses dires, elle nous envoie une vidéo de la chaîne YouTube manotoofficial, basée à Londres, où défilent des images de Téhéran frappée. «Mort à la dictature, à bas Khamenei, c’est le dernier combat, Pahlavi (ndlr: dernier chah d'Iran) est de retour», crie une femme sur un toit de la capitale.

Parisa dit aussi sa surprise et son anxiété devant l'impréparation de son pays: «Qu’un si grand pays soit attaqué de l’extérieur et de l’intérieur démontre qu’il ne peut pas assurer la sécurité de ses citoyens. A fortiori, pas non plus celle des Palestiniens.»

L’escalade militaire ne semble pas devoir s’arrêter, menaçant tout le Moyen-Orient. Alors que le bilan humain s’alourdit, les appels à cessez-le-feu sont restés lettre morte. Ici comme là-bas, tous redoutent un embrasement généralisé.