Les élèves frontaliers ne pourront plus être scolarisés à Genève
Dès 2026, les enfants domiciliés en France voisine ne seront plus accueillis à l'école genevoise, y compris les 85% de Suisses. Ceux qui sont déjà scolarisés à Genève pourront terminer leur cycle d’enseignement, mais pas le cursus intégral.
Genève tord le cou à une tradition singulière et généreuse. Dès la rentrée 2026, les élèves domiciliés hors du canton ne seront plus admis dans l’enseignement obligatoire. Ainsi en a décidé le Conseil d’État, qui a modifié les dispositions règlementaires dans l’enseignement obligatoire et le secondaire II. En revanche, les écoles supérieures ne sont pas concernées.
Cette décision importante touche non seulement les élèves français, mais également les Suisses habitant de l’autre côté de la frontière. En primaire et au Cycle d’orientation, la proportion d’élèves transfrontaliers suisses est écrasante: 85%. «On applique le principe universel qui veut que l’enfant soit scolarisé là où il est domicilié, explique la conseillère d’État Anne Hiltpold. Certes, il y a une crise du logement, mais habiter en France reste un choix.» Idem pour les élèves vaudois, mais ils ne sont qu’une poignée à Genève.
Une période transitoire va permettre aux familles de s’organiser. Les élèves domiciliés hors canton déjà scolarisés ici pourront terminer leur cycle d’enseignement, mais pas tout le cursus: de la 1P à la 4P, de la 5P à la 8P, de la 9e à la 11e du Cycle d’orientation (CO), ou jusqu’à l’obtention du titre visé dans le secondaire II. Actuellement, 738 élèves frontaliers suivent le degré primaire, 457 le CO et 1326 le secondaire II. Le nombre d’élèves à quitter le canton va s’échelonner sur quatre ans, à mesure que les cycles d’enseignements seront terminés.
Manque de place dans les écoles et fin de l'exception genevoise
Si le Conseil d’État insiste sur sa volonté de favoriser les liens sociaux des enfants dans leur lieu de vie, sa décision répond surtout à des motifs plus prosaïques. D’abord, le manque de places dans les écoles. C’est une préoccupation croissante du gouvernement, ainsi que des parents et des enseignants. La construction de pavillons provisoires, les surélévations d’établissements, les nouvelles plages d’enseignement tôt le matin, n’ont pas changé la donne. Ensuite, l’égalité de traitement avec les élèves résidant dans le canton. Lesquels sont tenus de changer d’école lors d’un déménagement dans un autre quartier. En France aussi, le principe de domiciliation prévaut. Enfin, la fin d’une exception que ne connaissent pas les autres cantons frontaliers, selon le gouvernement.
Historiquement, Genève accueille depuis des décennies les élèves du Grand Genève. Mais devant l’augmentation de la démographie, le canton a quelque peu sévi. En 2019, seuls les enfants domiciliés en Francs voisine ayant déjà commencé leur scolarité à Genève ainsi que ceux dont un membre de la fratrie était déjà à l’école genevoise étaient admis dans l’enseignement obligatoire. Et pour autant que l’un des parents paie l’impôt sur le revenu dans le canton. Même si Anne Hiltpold reconnaît que le nombre d’élèves a diminué depuis cette mesure, ce n’est pas suffisant pour autant, raison pour laquelle elle met fin à ce système dérogatoire. Cette mesure permettra des économies de 27 millions de francs à terme. «Ou plutôt, une augmentation moins importante du budget d’autant», explique Anne Hiltpold.
«Jusqu’ici, la France touchait 400 millions de francs et bénéficiait en plus de l’école genevoise»
Les autorités de France voisine ont été informées de la décision genevoise. Sans doute ne sont-elles pas enchantées. «Mais Genève reverse un montant important à la France, rappelle Thierry Apothéloz, président du Conseil d’État. Jusqu’ici, la France touchait 400 millions de francs et bénéficiait en plus de l’école genevoise.»
Du côté de la classe politique, le sentiment est partagé. Aux yeux du MCG, c’est une excellente nouvelle. «La positon prise par le Conseil d'Etat est bonne, parce qu’ainsi on est dans une certaine logique, estime François Baertschi, président. Il est évident que quand on est sur un territoire, on va dans les écoles de ce territoire.» Et ce, même si 85% des élèves concernés par la mesure sont suisses: «Si on veut choisir à la carte, on va dans des écoles privées qui vous donnent l’éducation que vous souhaitez. On ne peut pas profiter des avantages des deux côtés de la frontière. On profite de conditions économiques avantageuses, ou de bonnes conditions de logement. On ne peut pas dans le même temps représenter un poids pour l’instruction publique genevoise.»
À gauche, la nouvelle passe mal: «C’est la conséquence de la politique économique menée par la majorité de droite de ce canton. Ils ont fait venir des entreprises, elles se sont installées, ont fait venir des employés. La conséquence de cela, c’est l’augmentation des prix des loyers», assène Maryam Yunus Ebener, présidente des Verts. Elle pointe aussi l’immobilisme du gouvernement: «Cela fait maintenant des décennies que le Conseil d'État sait qu’il doit faire des travaux, aménager, investir dans des écoles. Gouverner c’est prévoir, mais ce n’est pas ce que le gouvernement a fait depuis plusieurs décennies, et on se trouve dans cette situation impossible où on ne peut pas accueillir tous les élèves genevois dans les écoles.»
En 2018 et 2019, de nombreux recours avaient été déposés suite au durcissement du règlement. Une ombre qui plane à nouveau sur ce dossier, mais qui n’est pas de nature à décourager le Conseil d’État.