Genève

Mancy: deux ans après le scandale, des employés toujours en poste

31.01.2024 19h04 Céline Argento, Jérémy Seydoux

mancy

Il y a deux ans, Genève découvrait l’ampleur du scandale du foyer de Mancy. Des enfants autistes violentés par du personnel du foyer. Dans le rapport parlementaire de mars 2023, les responsabilités étaient établies à tous les niveaux, de la conseillère d’Etat jusqu’aux employés du foyer. Deux ans après la découverte des premiers faits, notre enquête montre que plusieurs personnes impliquées dans le dossier sont toujours en poste ou ont été déplacées dans d’autres institutions au sein de l’état. 

Enfants privés de nourriture, laissés seuls, trainés par les vêtements: le 26 janvier 2022, Le Temps et Heidi News révèlent ce qui deviendra vite le scandale de Mancy. Des enfants autistes maltraités et une gestion désastreuse du foyer qui a ouvert seulement, en 2018. En mars 2021, l’alerte est donnée au DIP par l’Office Médico-Pédagogique qui chapeaute le foyer. Dans une note adressée au département de l’Instruction Publique, les cas de maltraitances sont recensés et les collaborateurs incriminés également. 

Collaborateurs en écoles spécialisées 

Quatorze collaborateurs sont concernés alors, par des demandes de mesures disciplinaires, allant de l’entretien de recadrage à d’éventuels licenciements. Trois ans plus tard, nos recherches montrent que plusieurs de ces collaborateurs travailleraient toujours dans des écoles spécialisées du canton, ou en contact avec des jeunes. Leurs noms apparaissent dans l’annuaire de l’Etat de Genève, régulièrement mis à jour. Cinq comme maitre, éducateur ou responsable pédagogique dans ces établissements. 

Un autre est aujourd’hui infirmier à l’Office de l’Enfance et de la Jeunesse. Son cas était revenu dans les médias il y a an. Il devait être nommé à la tête de l’Office de l’Enfance et de la Jeunesse. La polémique l’avait fait renoncer à ce poste. Comme rappelé dans le rapport parlementaire rendu en mars de l’année dernière, l’infirmier avait quitté Mancy avant toute procédure administrative. Cet infirmier faisait partie des cinq collaborateurs identifiés en  2021 comme étant les plus problématiques à Mancy. Trois de ces collaborateurs travailleraient à ce jour en école spécialisée dans d’autres institutions que Mancy, toujours selon l’annuaire de l’Etat de Genève. Une de ces personnes est même identifiée comme celle qui aurait effacé les données informatiques recensant les violences à l’égard des enfants. 

Quelles sanctions ? 

Au vu de ces informations, la question des sanctions se pose. Où en sont les procédures disciplinaires ? Le département de l’Instruction Publique n’a pas pu nous donner de détails sur les éventuelles sanctions émises. Les dernières informations datent du rapport parlementaire Mancy rendu il y a un an. On y apprenait qu’une personne a été licenciée. Plusieurs ont vu leur période probatoire prolongée, c’est à dire qu’elles devraient attendre plus longtemps avant d’être fonctionnarisés. Il était aussi écrit: «D’autres procédures sont encore en cours ou suspendues en raison des procédures pénales.» Trois ans plus tard, ces procédures pénales n’ont toujours pas abouti. 

Suivi du personnel

La députée verte Marjorie de Chastonay, s’inquiète du suivi de ces collaborateurs problématiques post-Mancy: «On ne parle pas de crayons de couleur mais d’être humains. On parle de jeunes qui ont toute la vie devant eux, mais pas avec de la maltraitance ou des malveillances. Si ce personnel est encore avec des enfants, j’espère qu’il est surveillé, accompagné, et si possible qu’il ne travaille pas avec des enfants». Elle déposera demain jeudi une question urgente au Grand Conseil pour obtenir des réponses précises à ses questions: «Est-ce que ces jeunes vont bien ? Ce personnel est-il toujours avec eux ? Et ce personnel a-t-il bénéficié de formation ?» Le DIP devrait répondre prochainement aux interrogations de la députée. 

Éditorial par Jérémy Seydoux – Deux ans après le scandale de Mancy, (presque) rien n'a changé

On parle du naufrage d’État le plus grave depuis l’assassinat d’Adeline. On se souvient des mots très forts de la socialiste Jennifer Conti qui avait lourdement chargé l’ex-ministre de son propre parti, fustigeant l’attitude irresponsable de la tête du département, qui à l’époque s’était évertuée à renvoyer la responsabilité plus bas. On se souvient des fusibles qui avaient sauté, en l’occurrence les deux lanceuses d’alerte qui paient aujourd’hui l’addition pour tout le monde. On se souvient d’un audit arrangé par copinage par le secrétariat général du département, pour tenter de blanchir sans véritable succès le sommet de l’État. Mais on se souvient surtout d’un rapport politique aussi accablant que constructif, pointant les dysfonctionnements à tous les étages, d’un département fatigué par le règne sans partage d’un seul parti et de ses apparatchiks, qui a fini par tourner rance.

Tous, tous partis confondus, ont vu en l’arrivée d’Anne Hiltpold l’occasion à tout le moins d’ouvrir la fenêtre, pour offrir aux milliers de professionnels engagés dans ce département un autre air à respirer. Où est le sursaut? Où est la prise de conscience? Après la déflagration Mancy, un changement radical s’avérait prioritaire aux postes clés. Mais on continue de danser sur le pont de ce bateau ivre, certain de corriger les erreurs du passé avec le même équipage erratique.

C’est vrai, l’État a ses raisons que la raison ne connaît point, il a ses usages, ses lois, ses jeux de pouvoir, et ses sacro-saintes RH, tordues à l’envi, au gré des convenances. Hélas, pas toujours au service de l’intérêt général. Alors Anne Hiltpold doit faire vite. Elle a la légitimité populaire pour reprendre le pouvoir. La balle est dans son camp. 

Responsabilités en haut de l'État

Le rapport Mancy ne pointait pas que des responsabilités individuelles mais aussi un défaut de structure. Sans formation ni logistique adéquates, les employés étaient livrés à eux-mêmes. Les syndicats ont d’ailleurs toujours soutenu les employés du foyer, visant la hiérarchie du DIP. Le rapport parlementaire sur Mancy pointait aussi des responsabilités aux plus hauts échelons de l’Etat.

Aujourd’hui, le fondateur du foyer Stephan Eliez, l’ex directrice Laurence Farge et celle de l’Office Médico-Pédagogique Sandra Capeder ne sont plus à l’Etat. La conseillère d’Etat Anne Emery Torracinta ne s’est pas représentée et a laissé sa place à la PLR Anne Hiltpold. Mais la secrétaire générale Paola Marchesini, épinglée dans le rapport de même que plusieurs membres du secrétariat général, sont toujours en poste.