Réseaux thermiques structurants: 25 ans de travaux et de bouchons
C’est un chantier titanesque, étalé sur plus de vingt ans, et qui transforme déjà le quotidien des Genevois. Les réseaux thermiques structurant sont en plein déploiement. Objectif : chauffer la ville autrement. Mais pour l’instant, ce sont surtout les embouteillages qui échauffent les sangs. Alors pourquoi autant de travaux? Et à quoi faut-il s’attendre dans le futur?
La grogne monte sur les routes du canton. «On ne sait plus comment circuler, râle un conducteur, je suis obligé de tourner à gauche mais je vais y aller quand même.» «C’est infernal, soupire un VTC professionnel. Il n'y a pas d’explication, on ne comprend rien.»
À Rive, c'est peu dire que l’immense chantier lancé il y a deux semaines bouleverse la circulation. Des agents privés se relayent 24 heures sur 24, se substituant aux feux rouges. Les voitures avancent au pas, et marteaux piqueurs et pelleteuses occupent bruyamment le terrain.
Un site inhospitalier
Ici, les SIG installent les fameux réseaux thermiques structurants, les RTS. Objectif: construire sous le square Pierre Fatio une station d’échange thermique, élément central du réseau de chauffage à distance «Genilac».
Un casse-tête pour les ingénieurs sur un site si dense en surface comme en sous-sol. On y trouve même d’anciennes fortifications qu’il s’agit de protéger, indique Isabelle Goettelmann, responsable Génie civil à SIG. « Si on avait trouvé un autre site plus favorable et avec moins de nuisances, évidemment on aurait sauté dessus. On était lié initialement au projet des Clés de Rive, mais il a périclité. Nous devions donc trouver un autre site et celui-ci était le plus favorable, même si cela crée beaucoup de nuisances, nous en sommes conscients.»
Ouvriers coupés du monde extérieur
Les travaux de la future station se poursuivront jusqu’en 2028, mais une première amélioration pour les usagers de la route est attendue rapidement. D’ici quatre mois, un pont provisoire recouvrira la tranchée afin de permettre à nouveau la circulation. Les ouvriers poursuivront les travaux en sous-sol, dans des conditions particulièrement difficiles. «Il faut avoir conscience que les contraintes de ce chantier sont exceptionnelles, précise Antoine Rosset, Ingénieur Mobilité au bureau Citec, mandaté par SIG. Nous allons travailler en deux fois dix heures, ce qui représente des horaires élargis. Par ailleurs, la méthode utilisée est très contraignante, car les ouvriers interviendront entièrement en souterrain. C’est une configuration très rare, ils seront isolés du monde extérieur».,
Micro-tunnelier à la rescousse
Autre chantier, autre méthode. Dans le secteur de Plainpalais, une solution, plus chère, est utilisée pour éviter d’ouvrir des routes. Un puit de 17 mètres a été creusé. Au fond, un micro-tunnelier creusera une galerie de 950 mètres de long jusqu’au Rhône, pour installer les conduites des RTS. «Ce réseau va servir à chauffer et rafraîchir une soixantaine de bâtiments au nord du PAV, indique Gilles Ottaviani, ingénieur thermique pour Genilac-SIG. Dans un an et demi on aura fini les travaux et le PAV pourra être alimenté par Genilac. Le micro-tonnelier c’est 12,5 mètres linéaire par jour. Le temps de mettre toutes les conduites, Genilac sera au PAV.»
30 ans de travaux
Ces chantiers ne sont pas les seuls à déployer des RTS à Genève. En cette fin mai, nous avons comptabilisé 15 chantiers dans tout le canton. Principalement en Ville de Genève mais aussi à Meyrin, Carouge, Lancy, Bernex. Leur durée: entre quelques mois et 3 ans pour la fameuse station thermique de Rive. Et après? Les SIG n’ont pas fourni de carte précise du déploiement. L’ouverture d’un nouveau chantier dépend de nombreux facteurs, selon la régie publique.
Mais la stratégie globale est déjà validée par le Conseil d’État. Et le plan est très copieux: jusqu’en 2030, puis en 2040 et 2050, le réseau s’étendra au centre-ville et aux grandes communes suburbaine. Meyrin, Carouge, Lancy, Bernex, Vernier et Plan les Ouates font toutes parties du plan de développement des RTS.
Une pression croissante sur les professionnels
Ce déploiement à large échelle commence à susciter des inquiétudes. La semaine dernière, les milieux économiques ont interpellé les autorités, réclamant davantage de planification et des solutions concrètes pour les professionnels.
La Société suisse des entrepreneurs partage ces préoccupations. Les travailleurs du bâtiment sont confrontés à des embouteillages et des retards importants, s’alarme Frédéric Gros, président de la SSE et directeur de l’entreprise Bertolit. «Que dois-je faire? Mettre mes ouvriers dans un bus ou un tram avec leur marteau-piqueur et leurs plaques de plâtre? C’est impossible. Genève est en pleine transformation, c’est une bonne chose, mais il faut proposer des alternatives. On ne peut pas tout bloquer sans offrir de solution.»
Selon lui, la situation commence à peser sur la santé financière des entreprises: «On est en train de les noyer sous cette surcharge de trafic, sans se soucier de leur survie. Les marges diminuent, les bénéfices fondent. Et la tendance s’aggrave chaque année.»
Cette stratégie énergétique se déploiera jusqu’en 2050. D’ici 2030, un milliard et demi seront dépensés. Le nombre d’heures de bouchons supplémentaires n’est pas connu. Mais c’est en années de patience qu’il faudra calculer.