Genève

Trois ans après, «j'aimerais qu'on mette un pansement sur ma plaie»

31.03.2025 18h46 Julie Zaugg

Témoignage

En 2022, un violent accident de voiture sur la route a Chancy a causé la mort d’une femme et grièvement blessé l’une de ses filles. L’auteur de la collision, un homme alcoolisé, déjà condamné pour conduite en état d’ébriété, est poursuivi pour meurtre par dol éventuel. Trois ans après, la procédure n’a toujours pas abouti. La famille se sent délaissée. Témoignage. 

C’était il y a bientôt trois ans, un soir pluvieux de mai 2022. Sur la route de Chancy, un automobiliste ivre au volant se déporte sur la voie d’en face et percute d’autres voitures. La collision frontale cause un décès et blesse plusieurs personne. Parmi les victimes de ce choc, la mère d’Ysaline, morte sur le coup et sa sœur de 16 ans à l’époque, grièvement blessée. Après le décès d’une autre sœur en 2018, dans un accident de voiture également, Ysaline a l’impression que le sort s’acharne. Déterminée à avancer, la famille se bat pour obtenir justice. 

«J'essaie de reprendre ma vie au quotidien, j'essaie d'être là pour mon père et ma petite soeur. On essaie d'avancer mais on sait que toutes les deux ou trois semaines, on a des audiences, on se replonge dans ce cauchemar. On le voit encore [le prévenu;ndlr] quand on est convoqué et c'est à chaque fois un coup de poignard qu'on nous remet. De se dire que ce n'est pas terminé et qu'on ne peut pas avancer» nous confie la jeune femme de 25 ans. 

Prévenu récidiviste

L’automobiliste en cause est récidiviste, déjà condamné en 2016 pour conduite en état d’ébriété. Consommateur de cocaïne, ses pneus étaient lisses, sa vitesse excessive de plus de 25km/h sur un tronçon limité à 80 par temps de pluie. Face à ces éléments, l’avocat de la famille a obtenu en août 2024 la requalification des faits. D’homicide par négligence, le conducteur est passé prévenu de meurtre par dol éventuel. Ce qui signifie qu’il a pris des risques dont il avait conscience ce soir-là, alors qu’il prenait sa voiture après avoir descendu plusieurs verres de whisky.

«Le Ministère public a pris la mesure de la gravité de ce drame. Il a considéré à juste titre que ces conditions imposent de retenir que le véhicule était en réalité un instrument de mort», expose Me Robert Assaël. Suite à la requalification, une expertise psychiatrique a été demandée. Celle-ci a seulement été annoncée le 24 décembre 2024, et un compte-rendu ne sera obtenu que dans plusieurs mois. «On peut se poser la question de la pertinence d'un rapport d'expertise trois ans après les faits. Comment peut-on revisiter l'état de psychisme du prévenu avec un tel écart de temps?» interroge l'avocat. 

Besoin d'aller de l'avant

Le Ministère public ne commente pas les affaires en cours. La durée médiane d’une procédure devant le Tribunal Correctionnel est de 29 mois environ d’après les statistiques 2023. Mais la famille, impatiente d’obtenir justice, se sent délaissée. «Délaissée, incomprise... c'est une histoire qu'on raconte en boucle! Je la raconte tous les jours, tout le temps. J'aimerais qu'on mette un pansement sur ma plaie, notre plaie et qu'on avance», nous dit Ysaline, émue. 

Par son témoignage, la jeune femme espère pouvoir enfin faire son deuil. Pour ce qui est de l’homme prévenu dans cette affaire, il encourt au moins 5 ans de prison.