De l’usage des lunettes de soleil en politique
«L’affaire Dittli» secoue le canton de Vaud. Au-delà des reproches et des charges contre la ministre des Finances, cette histoire révèle le poids de l’administration et celui des vieilles amitiés politiques.
L’entrée en scène de la benjamine du Conseil d’État vaudois à son exécution restera dans les annales. Valérie Dittli, se faisant attendre trois longues minutes, déboule lunettes de soleil insolentes sur le nez, allure sport-chic rompant avec le classicisme requis en la circonstance – tailleur discret préfigurant l’acte de contrition. Rien de tel chez la Zougoise. Dans l’embrasure de la porte, on dirait Paris Hilton sortant d’un commissariat de police.
L’accusation, elle, paraît aussi solide que la prévenue, orgueilleuse. Jean Studer, dont la réputation et probité empêchent de formuler tout doute sous peine d’être passible de la correctionnelle, assène les charges: demande d’annulation de taxations de gros contribuables et possible violation du secret de fonction. Même s’il dit lui-même que son rapport n’est pas une analyse exhaustive, ni un avis de droit, pas plus qu’une enquête administrative. On ne sait donc pas très bien ce qu’il est, mais c’est suffisant pour conclure au péché. La sentence du Conseil d’État tombe – le retrait des Finances. Zoug encaisse mais ne plie ni ne rompt. Valérie Dittli ne jette pas l’éponge. Pas encore.
Il aurait fallu qu’elle en restât là. Qu’avec hauteur elle admette la faute et se plie à la sanction, sans mauvaise humeur, sans claquer la porte quelques jours plus tard au nez de ses collègues, façon gosse insolente.
Alors qu’auparavant, les élus gouvernaient avec le concours de l’administration, il semble qu’ils soient désormais au service de cette dernière
Je concède un faible pour les personnalités résistant aux assauts. Pourtant, au moment de la première «affaire Dittli», celle de sa domiciliation douteuse, j’avais tapé sur cet ovni de Suisse centrale. A tort, puisqu’elle avait été blanchie. Aujourd’hui, la saison 2 qui monte en intensité dramatique me paraît révéler une dimension plus ample que la nature des reproches sur lesquels la justice sera amenée à statuer. Soit dit en passant, cette judiciarisation de la politique produit plus de défiance vis-à-vis des élus que de clarté.
Or donc, aux origines de l’affaire se trouve un conflit entre la conseillère d’État et sa cheffe de la fiscalité. Ledit conflit, au lieu d’être réglé entre elles, va ruisseler sur l’appareil d’État et le collège. C’est pour le bien public, me direz-vous: respect des institutions, légalisme, tout ça, tout ça. Bien sûr. Mais ce faisant, on entrevoit un glissement. Alors qu’auparavant, les élus gouvernaient avec le concours de l’administration, il semble qu’ils soient désormais au service de cette dernière, corsetés dans la maille serrée des hauts-fonctionnaires. Que ceux-ci leur rappellent les règles du jeu et du droit, c’est heureux. Mais qu’ils partent en guerre, à grand renfort de mots-clés comme «souffrance du personnel», et la messe est dite. D’un conflit, on fait une affaire d’État. Genève a connu cela dans un des volets de l’affaire Maudet. Mais aussi Nyon, Versoix ou le Grand-Saconnex, dans une autre mesure. L’administration a acquis une autorité qui lui permet de rudoyer, voire de priver de leurs dicastères ceux qui ont été choisis par le peuple pour gouverner. Et ce, avec le concours des autres élus. On verra plus tard si, dans «l’affaire Dittli», l’appareil d’État aura été un rempart contre l’illégalité ou, au contraire, un boutefeu.
Un outsider qui s’est invité au festin bourgeois avec plus d’estomac
Si la ministre avait été un vieux routier de la politique, il en aurait été autrement. Mais de surcroît, elle est un outsider qui s’est invité au festin bourgeois avec plus d’estomac. A l’évidence, la centriste est à droite du PLR. Un de ces fameux gros contribuables me le glissait encore à l’oreille dernièrement. Populaire auprès des riches, des notables, des agriculteurs et des viticulteurs, sans groupe parlementaire, sans expérience politique mais forte tête, la femme aux lunettes noires ne pouvait qu’agacer les radicaux de souche habitués à leurs vieilles amitiés.
Issue d’une dynastie lointaine, la Zougoise a heurté frontalement un microcosme quasi familial autour de l’ancien grand argentier Pascal Broulis, la conseillère d’État Christelle Luisier et la cheffe de la fiscalité Marinette Kellenberger. Et elle a commis la faute. Aujourd’hui, la famille politique se déchire, les tontons fortunés et grincheux prennent armes et bagages pour partir en Valais, la présidente Florence Bettschard-Narbel s’accroche au sacro-saint respect des institutions alors que ça canarde à gauche, à droite, et que même la fratrie du Conseil d’État est sous tension.
Je me demande s’ils ne devraient pas tous essayer le port des lunettes de soleil.