Opinions

Droit à l’asile… de fous?

03.03.2025 15h17 Rédaction

lib

M. Poncet a la conviction que dans une démocratie, les citoyennes et les citoyens ont un droit à la vérité. Et selon lui, il faut agir sur le droit d'asile. Aude Martenot lui répond: «gare aux préjugés».

L’Allemagne d’abord: au mois d’août dernier à Solingen, paisible bourgade de Rhénanie, trois morts à coups de couteau et huit blessés. En décembre à Magdebourg, charmante ville sur les bords de l’Elbe, six morts et 200 blessés. En janvier de cette année, à Aschaffenburg, petite ville bavaroise, au couteau de nouveau, deux morts: un enfant deux ans et le brave allemand qui a essayé de le secourir.

La France ensuite: le 14 octobre 2023, un professeur assassiné à coups de couteau dans son lycée d’Arras. A la même époque, Lola 12 ans, retrouvée morte dans une malle. Le 2 septembre 2024 à Paris, Philippine, 19 ans, assassinée dans le bois de Boulogne. Dans ces trois affaires, les auteurs présumés, comme on dit - car dire les coupables violerait la présomption d’innocence des assassins - sont des gens sous OQTF «Ordre de quitter le territoire français», c’est-à-dire des expulsés théoriquement. Pas expulsés puisqu’ils sont toujours là et se divertissent à leur manière.

La Suisse restera une oasis de paix en Europe?

Genève en particulier, qui a 10 kilomètres de frontière avec le canton de Vaud, mais 103 kilomètres avec la France, est une enclave en territoire français. Quousque tandem auraient dit les romains de jadis, jusqu’à quand, serons-nous épargnés?

Sans vous assommer de chiffres, à fin novembre 2023, 27'980 demandes d’asile et 25'884 à fin novembre 2024. Moins d’un quart sont accordées. Et voyez-vous, les candidats rejetés – plus de 4'000 sur les deux dernières années - ne sont ni les huguenots fuyant les dragons de Louis XIV, ni les hongrois de 1956 ni les tchécoslovaques de 1968, ni les chiliens de 1975 fuyant Pinochet, ni même les Tamouls du Sri Lanka des années 1980, ou encore les réfugiés des Balkans ou ceux de l’Ukraine. Je papotais il y a quelques jours avec un chilien rencontré par hasard, qui avait fui la torture sous Pinochet et qui me disait «je suis plus Suisse que Chilien».

La convention internationale de 1951 sur le statut des réfugiés, que nous avons ratifiée et que nous appliquons avec zèle, dit ceci à son article 2: «Tout réfugié a, à l’égard du pays où il se trouve, des devoirs qui comportent notamment l’obligation de se conformer aux lois et règlements ainsi qu’aux mesures prises pour le maintien de l’ordre public.» Pour ce Chilien et pour tant d’autres, oui, mais aujourd’hui? Foutaises! Illusions dangereuses!

De janvier à juin 2024, nos gardes-frontières, heureusement qu’ils sont là, ont interpellé 2'000 personnes par mois – 70 par jour – pour séjour illégal en Suisse. Il y a probablement 150'000 clandestins dans notre pays, 20 ou 30'000 à Genève au moins et même si 99,9% d’entre eux sont de braves gens, qui essaient de se sortir de conditions difficiles, ça fait toujours au moins une centaine de types dangereux, prêts à tout, qui rôdent dans nos rues.

Qu’attendent les autorités genevoises pour demander le rétablissement des contrôles aux frontières? Les allemands l’ont fait sans hésiter, les autrichiens, les italiens et les français suivront. Qu’attend le Conseil d’État pour renforcer une police genevoise, qui est en sous effectifs chroniques? Qu’attend le Conseil d’État pour construire des places de prison? Devrons-nous donc être les seuls à supporter par faiblesse, par pusillanimité, ou par parti-pris idéologique, ce qu’il faut malheureusement appeler la libre circulation des assassins?

La Suisse, très loin de «l'oasis de paix»

La Suisse serait donc une «oasis de paix», qui appliquerait rigoureusement la Convention internationale des réfugié·es. Bon... Mais alors, qu’en est-il d’Amina*, deux enfants, originaire d’Afghanistan, réveillée à Lausanne à 5 heure du matin pour être menottée et mise dans un avion à destination de la Croatie au nom des accords de Dublin?

Qu’en est-il d’Eric*, militant kurde qui n’a pas obtenu l’asile et doit survivre à Genève sans droit de travailler, avec seulement 11 francs par jour? Qu’en est-il d’Adelina*, 13 ans, originaire du Kosovo, qui ne peut rejoindre ses parents en Suisse parce que sa demande de regroupement familial n’a pas été jugée par les autorités comme démontrant une «raison familiale majeure»? La Suisse est loin d’être une oasis, et ce avant tout parce que de nombreuses personnes véhiculent des mythes et des préjugés sur les personnes exilées.

L’extrême droite use d’un autre mythe: l’abus de l’asile

Contrairement à ce qu’elles laissent croire, les étrangers ne sont pas tous des criminels en puissance. Par contre, la Suisse a mis en place un système judiciaire qui cible les personnes étrangères. Elles sont surreprésentées dans les prisons, à cause de discriminations policière, judiciaire et d’une criminalisation croissante de l’immigration irrégulière. Ainsi, le seul fait de séjourner illégalement sur le territoire peut entraîner une peine allant jusqu’à un an de prison.

Mais le discours anti-immigration simpliste de l’extrême droite préfère se baser sur quelques faits divers. En réalité, la surreprésentation des personnes étrangères dans la criminalité n’a rien à voir avec leur origine mais se recoupe avec des facteurs comme le genre, l’âge ou le niveau de formation. Si l’on voulait simplifier la réflexion et suivre le raisonnement de M. Poncet, nous pourrions dire qu’une large majorité des crimes sont commis par des hommes. Bien que l’on sache que 99% des hommes ne commettront pas de délits, ne faudrait-il pas, pour se rassurer, expulser ou emprisonner la totalité des hommes de Suisse?

Bien sûr que non. Si la Suisse souhaite réduire la criminalité sur son territoire, ce n’est pas en s’attaquant à des groupes de personnes selon leur statut ou nationalité qu’elle y arrivera.

L’extrême droite use d’un autre mythe: l’abus de l’asile. Or, parmi les quelque 25'000 demandes d’asiles en 2024, un quart provient de personnes qui sont déjà là et demandent une révision de leur situation. Ce ne sont pas des nouvelles arrivées. Et, si l’on compte correctement, dans 80% des cas, les autorités reconnaissent les demandes comme légitimes et accordent une protection. Où se cache donc l’abus?

Décider qui est bon ou mauvais migrant n’est qu’un outil au service d’un système profondément inégalitaire. L’histoire jugera sévèrement les politiques migratoires racistes actuelles de la Suisse et de l’Europe, qui laissent périr des dizaines de milliers de personnes en Méditerranée tout en criminalisant les survivants, qui viennent apporter leur force de travail à l’essor de nos sociétés.