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Gaza, génocide?

10.06.2025 15h22 Rédaction

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Que penser de la situation à Gaza? Sylvain Thévoz y voit une Suisse pathétique et encourage le boycott envers Israël. Sandrine Salerno lui répond et est d'avis qu'il n'est jamais trop tard pour la paix.

Vous suivez le génocide en direct? Vous voyez agoniser sous les décombres mourir sous nos yeux ces frères et sœur en humanité? Vous entendez ces parents pleurer leurs bébés et ces bébés chercher leurs mères atomisées? Vous sentez l’odeur de chaire grillée, ou c’est trop loin, trop arabe pour vous? Vous voyez nos semblables se faire anéantir, ces civils errer, leurs tentes se consumer, leurs hôpitaux imploser? Gaza était une prison à ciel ouvert c’est devenu un tombeau scellé – le plus grand du monde – où même les ossements sont pulvérisés. L’assassin, sûr de son impunité, ravage tout, tue tout, emporte tout. Il continuera ainsi jusqu’à ce qu’on lui retire ses armes et la légitimité qu’il s’est donné d’imposer la mort. Dans l’histoire, c’est toujours ainsi que finissent les génocides: par le dernier souffle du dernier représentant du groupe visé, ou par la défaite des bourreaux. 

Les terroristes disent toujours ce qu’ils vont faire. Le gouvernement israélien, les Netanyahou, Smotrich et compagnie ont annoncé au monde ce qu’ils allaient faire. Et ils l’ont fait. Et ils continuent de le faire. Ils cuisinent un peuple, le nettoient ethniquement. Nous assistons à la solution finale du peuple palestinien, en violation des lois les plus fondamentales de l’humanité et de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Adopté en 1948 juste après la Shoah, quand le monde entier disait plus jamais ça, 153 états depuis l’ont ratifié ou y ont adhéré. Ces pays, dont la Suisse et Israël auraient donc non seulement le devoir de punir mais aussi celui de prévenir le crime de génocide… pourtant ils ne font rien ou pire, participent activement au génocide, se rendant par là justiciables. Peut-être verrons-nous un jour notre conseiller fédéral Cassis enchaîné à côté de son ami Netanyahou à la Haye?   

54’000 morts, 120'000 blessés déjà, et le génocide continue. Plus redoutable que le bruit des bottes, le silence des pantoufles. Un jour on vous dira: où étiez-vous en 2024 et 2025 pendant que le peuple palestinien se faisait génocider, quand plus de 16'000 enfants passaient de vie à trépas de manière méthodique et calculée? Pourquoi n’avez-vous rien dit, rien fait, même pas versé vingt balles à l’UNRWA ou dix à médecins du monde, même pas une lettre à vos autorités pour honorer les traités qu’elles ont signé. Vous aviez trop la trouille de vous faire traiter d’antisémite?

Vous voulez la fin du bain de sang?

Le Conseil fédéral se terre. Seules les villes de Genève, de Lausanne, le Tessin, les parlements du Jura et de Genève se sont exprimés contre l’ignominie en cours. Cette Suisse si prompte à parler des conventions de Genève et évoquer sa neutralité fait peine à voir. Pourtant les leviers existent. Depuis 1993, il existe un accord entre l’Association européenne de libre-échange (AELE) et Israël, quatrième partenaire commercial de la Suisse au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Ce génocide est clairement financé en partie depuis la Suisse. En 2023, le volume des échanges bilatéraux s’élevait à 1,7 milliards de francs. La Suisse achète du matériel militaire à Israël, notamment des drones Elbit testés et approuvés sur des populations civiles à Gaza, l’exportation de biens à doubles usage et de technologie de surveillance bat son plein, quand les Universités suisses font des mamours aux universités israéliennes soutenant le génocide en cours.

Vous n’en pouvez plus de voir des enfants mourir. Vous voulez la fin du bain de sang? Il y a une solution: soutenir le boycott à l’égard d’Israël et sortir cet état du cercle des partenaires légitimes. 80% des Israéliens estiment que leurs autorités ne doivent pas prendre en considération les souffrances de la population civile de Gaza dans la poursuite des opérations militaires.

Pas un mot ni un franc ne doivent alimenter un pays qui multiplie les colonies de peuplement et poursuit l’objectif de déportation et d’annihilation de tout un peuple. Pas un mot. Pas un franc. Ni oubli, ni pardon.

Sandrine Salerno: «Le seul boycott nécessaire est celui de la haine.»

 

Sylvain Thévoz dénonce l’horreur qui se joue dans la bande de Gaza. Il le fait avec passion, avec un propos très dur, voilent même et qui livre une lecture unilatérale d’un conflit éminemment complexe, pour lequel la simplification nuit autant que le silence.

Il a choisi son camp et nous propose la mise au ban et le boycott comme réponse politique. Il le fait avec force, en convoquant des images radicales, des accusations qui peuvent heurter — non seulement celles et ceux qui se sentent visés, mais aussi celles et ceux qui cherchent une voie pour penser autrement que par la colère. Face à cette guerre, pour ma part, je fais le choix d’un ton, de mots et d’une analyse qui empruntent le chemin compliqué et complexe de la paix.

Je ne crois pas que des sanctions globales contre Israël modifieront à court terme la situation sur le terrain, à Gaza. Ce type de mesures ne fonctionne pas d’ailleurs nous le voyons — ni contre la Russie, ni contre l’Iran, ni contre la Corée du Nord. Ces mesures affirment une position, une posture mais n’offrent pas de réelle solution. Mal ciblées, je dirai même qu’elles renforcent souvent les extrêmes qu’elles prétendent affaiblir.

Je suis également troublée par cette volonté déclarée de punir un peuple entier, alors que ce sont des dirigeants politiques, et non des citoyens, qui devraient être interpellés. Oui, certains membres du gouvernement israélien sont visés par des procédures internationales – Netanyahou le premier — mais le peuple israélien n’est pas une masse uniforme et complice.

Chaque semaine, des dizaines de milliers de citoyens israéliens manifestent contre leur propre gouvernement. Un quart des réservistes refusent d’aller se battre. Et des familles d’otages supplient le pouvoir de trouver une solution politique.

Critiquer un gouvernement, pas un peuple

Car ne nous y trompons pas. Ce conflit ne se joue pas uniquement entre Israël et le Hamas à Gaza. Il est une tragédie mondiale, où les États-Unis, l’Iran, l’Union européenne, la Russie, la Chine, et les pays arabes ont tous une part de responsabilité.

Les uns arment. Les autres bloquent. Certains attisent. D’autres se taisent. Cette guerre est aussi la nôtre.

Elle est le miroir déformant de nos impasses. Elle révèle l’incapacité de nos sociétés à tirer les leçons de l’Histoire, à construire des ponts, à penser des solutions au-delà des slogans.

Elle nourrit l’antisémitisme partout dans le monde et l’islamophobie, y compris chez nous, à Genève. Elle fracture nos sociétés, attise les haines, radicalise nos jeunesses. Elle fait des victimes ici aussi. Elle nous rappelle que le discours public est devenu un champ de bataille.

Dans nos rues, certains défilent avec des slogans meurtriers ; les réseaux sociaux deviennent des terrains de chasse aux identités. Ce conflit révèle que la guerre est déjà chez nous, par le poison qu’elle injecte au quotidien dans nos démocraties.

C’est pourquoi il faut être attentif. Peser les mots. Refuser les raccourcis. Dénoncer sans ambiguïté les massacres du 7 octobre 2023, les otages toujours détenus, les victimes israéliennes et palestiniennes, les boucliers humains, les déplacements forcés, les privations de nourriture, les destructions d’écoles et d’hôpitaux, le coût immense inacceptable que payent les civils à Gaza.

Que faire, ici, maintenant?

La paix ne viendra pas de slogans. Elle viendra de la mobilisation de celles et ceux qui, des deux côtés, y croient encore. Et des voix existent, en Israël comme en Palestine, qui refusent la haine. Nous devons les soutenir. Les faire entendre. Les protéger.

À Genève, en Suisse, nous pouvons être le relais de ces voix-là. Celles qui parlent de coexistence, pas d’anéantissement. Celles qui ne demandent pas «choisis ton camp», mais qui disent: «choisis la paix.»

Oui, les Palestiniens ont droit à un État. Oui, les Israéliens ont droit à la sécurité.

Non, ce conflit ne sera pas résolu par des boycotts à faible portée ou des condamnations politiques binaires, violentes qui ostracisent. Il ne sera pas résolu en jetant le doute sur la crédibilité des voix de nos concitoyens et concitoyennes de confession juive qui finissent par se sentir acculés et n’osent plus prendre la parole. Ce conflit exige du courage, de la mémoire, de la volonté politique.

Le seul boycott nécessaire aujourd’hui, est celui de la haine, du cynisme et des effets de manche. Cher Sylvain, il n’est jamais trop tard pour la paix.