Genève et ses milliards
Un élu libéral a demandé à la Confédération un milliard de francs pour aider la Genève internationale. Et Berne lui a ri au nez. Pourquoi?
D’abord, parce que les comptes de Genève étaient excédentaires de 1.4 milliards de francs en 2023 et qu’ils le sont encore d’un demi-milliard en 2024. Berne ne va pas ouvrir son porte-monnaie pour un Canton qui a les moyens. Genève est riche, Genève est prospère, Genève bénéficie de solides rentrées fiscales que nous envient nos voisins. Malheureusement la manne ne profite qu’à quelques-uns et les inégalités sociales croissent.
Les libéraux ont encore baissé les impôts des plus fortunés et attaquent à chaque budget toute nouvelle dépense, rabotant dans le service public, attaquant les prestations à la population. Tout cela pour offrir des cadeaux aux copains fortunés et accroître encore les inégalités en hypothéquant l’avenir. Alors oui Berne a rigolé en entendant la proposition de faire financer par d’autre ce que Genève pourrait se payer. A Berne on pense que les Genevois feraient mieux de se bouger pour régler déjà eux-mêmes leurs problèmes de mobilité, de chômage et de logement plutôt que de faire ouin ouin depuis le bout du lac en réclamant des milliards sans se bouger. Et puisque l’on n’a jamais vu ou presque un Conseil d’Etat obtenir quoi que ce soit de Berne, on devrait se demander pourquoi.
Mais réfléchissons une seconde. Si Genève bénéficie de recettes fiscales extraordinaires, c’est grâce à la sueur et à l’exploitation des travailleurs et travailleuses du sud global. C’est donc d’abord à eux que devraient revenir en priorité les bénéfices du négoce des matière première, les gains des affréteurs et transporteurs, et les rentes issues de la voracité des extracteurs de biens. Or, les dépenses affectées à la solidarité internationale par le Canton, en 2023, s'élevaient à moins de 65 millions de francs, soit un misérable taux d'effort de 0,6%.
«Charité bien ordonnée commence par soi-même». A Genève un petit groupe de libéraux s’applique à merveille cet adage. Aux plus gros la plus grosse part. Aux plus petits le peu qui reste.
La meilleure manière de soutenir l’économie serait pourtant d’investir dans l’avenir et massivement soutenir les gens, les vrais, par la formation, l’aide à la parentalité aux crèches au logement ; à la protection des mineurs, à la rénovation et réduction des prisons qui sont coûteuses, insalubres et surdimensionnées ; en soutenant l’aide aux personnes âgées, la création de foyers pour jeunes, etc. Boostez le social et l’économie se portera mieux. Formez les gens, payez les correctement, consolidez leur un permis de travail, vous n’aurez plus de soucis de mains d’œuvre. Les employés arriveront à l’heure, et n’auront plus à se soucier de devoir courir ici et là pour aider un proche ou palier à ce que l’Etat ne fait plus ou mal par manque de moyens. Alors les absences pour maladie, absentéisme, œil au beurre noir ou souci de fric diminueront drastiquement.
Ce n’est pas d’un milliard de plus que Genève a besoin c’est d’un changement de vision et de priorités. Renversons la pyramide, abattons l’ultra-libéralisme et tordons le coup à ceux qui, plutôt que de défendre les Genevois et Genevoises ne pense qu’à lécher les fesses de la place financière, et à leurs copains banquiers qu’ils cajolent au détriment de la population locale. Voilà, pourquoi Berne a tellement rigolé à la demande de charité de Genève où le nombre de milliardaire ne cesse d’exploser. Et voilà aussi pourquoi nos milliardaires ne cessent de rigoler en se demandant comment il est possible que l’on soit aussi docile et servile, bradant Genève aux pouvoirs de l’argent et du libéralisme. Et vous, avec un milliard, vous feriez quoi?
«La Genève internationale n’est pas un gadget diplomatique, c’est aussi un pilier économique» – Vincent Subilia
S’il y a bien une dimension déplorable à ce débat, ce n’est pas de plaider un soutien résolu à la Genève internationale — un cri du cœur face à une situation critique — mais l’aveuglement idéologique de ceux qui s’acharnent à attaquer la prospérité de notre canton, tout en prétendant défendre l’intérêt général.
La Genève internationale n’est pas un gadget diplomatique. C’est aussi un pilier économique. Près de 5 milliards de francs de valeur ajoutée par an, des dizaines de milliers d’emplois, une manne financière qui irrigue nos commerces, nos services, et indirectement les prestations sociales que certains prétendent défendre la main sur le cœur.
S’agissant de ce même édifice de prospérité qu’il faut préserver, est-il nécessaire de rappeler que 4 % des contribuables les plus fortunés paient près de 50 % de l’impôt sur le revenu, pendant qu’un tiers de la population n’en paie pas un centime. Ce n’est pas un jugement moral — c’est une réalité budgétaire. Une réalité que ceux qui dénoncent le « système » oublient volontiers, tout en profitant de ses fruits.
Alors que Genève, qui assume une mission d’intérêt national en accueillant négociations de paix, discussions humanitaires et autres forums multilatéraux, notamment commerciaux à l’instar du dialogue entre les Etats-Unis et la Chine ce week-end, puisse solliciter un soutien fédéral, ce n’est pas un caprice. C’est un appel légitime pour préserver un outil unique au monde au service de la paix, et défendre ce berceau et bastion du multilatéralisme qu’est cette capitale de la gouvernance mondiale, notre Genève.
Opposer la Genève internationale aux besoins sociaux du canton témoigne d’une méconnaissance crasse du dossier, et d’un réel mépris faces à celles et ceux qui créent de la valeur économique au quotidien.
Quelle ironie du sort que de voir un député socialiste, si prompt à voter des résolutions sur la paix mondiale confortablement installé à son pupitre du Grand Conseil, railler une demande visant précisément à soutenir le seul outil réel par lequel Genève y contribue concrètement, sur le terrain.
Alors non, Genève ne devrait pas rougir. Bien au contraire, ce sont ceux qui tournent le dos aux valeurs qu’elle incarne qui devraient en éprouver de la honte.