Hodgers versus Haussmann
Le chauffage à distance, vert et autonome, a désormais un prix, il est exorbitant. Car en 2022, les Genevois se sont laissés abuser en offrant aux SIG un monopole sur les réseaux thermiques structurants.
Nous commencions presque à nous ennuyer. A croire que les agités de la République étaient sous ritaline. Les SIG, après l’affaire des surfacturations et celle de népotisme, filaient droit, Robert Cramer tenant la boutique avec son autorité naturelle et sa crédibilité d’ancien conseiller d’Etat qui a tout vu, tout fait.
C’était sans compter la découverte, cette semaine, des tarifs que la régie publique nous a concoctés en échange d’une énergie propre, locale, souveraine, celle des futurs réseaux thermiques structurants: 25% de plus que la moyenne suisse, des prix au kilowattheure si exorbitants que Monsieur Prix en a été décoiffé plus qu’à l’ordinaire. Il l’a fait savoir à Léman Bleu, filant la métaphore sur le brouillard lémanique et évoquant le prix de la bonne conscience. En déléguant aux SIG le monopole du chauffage à distance, les Genevois ne pouvaient pas s’attendre à autre chose.
L’Asloca, le PLR, LJS et le MCG promettent de ne pas laisser passer. Nous verrons cela à la session de mars, puisqu’une motion leur donnera l’occasion de renvoyer le Conseil d’État à sa copie. Car à ces tarifs déraisonnables viendront s’ajouter d’autres joyeusetés. En voici le tableau prospectif: Des routes éventrées dans tout le canton, des forages et de la tuyauterie un peu partout, le trafic entravé évidemment, et ce jusqu’en l’an de grâce 2050. Paris a eu Haussmann, Genève a Hodgers. A la ville lumière des bâtiments splendides, à la République et canton une chaudière verte.
Mieux valait être otage de Michel Balestra que de Poutine
J’enrage en pensant à ce dimanche 13 février 2022, lorsque les Genevois ont plébiscité cette loi constitutionnelle à 80%. Comme souvent, nous avons voté le principe et celui-ci s’orientait pile-poil dans l’axe du Bien: transition énergétique, autonomie, service public. Onze jours plus tard, la Russie envahissait l’Ukraine. Une tragédie dont nous mîmes longtemps à mesurer les conséquences - si tant est que nous ne l’ayons jamais fait - mais qui pouvait fournir des considérations prosaïques de cet ordre: mieux valait être otage de Michel Balestra que de Poutine.
Pourtant, le texte était piégeux. Pour un mot, un seul: monopole. La régie publique avait endormi notre vigilance, aveuglés que nous étions par des tarifs d’électricité moins chers qu’ailleurs en Suisse et sous le charme d’un Christian Brunier survolté et frisant l’arrogance sur les plateaux de télévision. Les opposants ne furent pas entendus, chantant a capella leur crainte quant à la transparence des coûts. A l’instar de l’ancien président du PLR, Bertrand Reich, rappelant que des centaines de millions avaient déjà été investis dans les réseaux thermiques sans qu’il y ait besoin de monopole. Même Carole-Anne Kast, alors vice-présidente de l’Asloca et qu’on ne peut soupçonner de convictions libérales, avertissait qu’il faudrait mettre en place un réel contrôle des prix.
Outre les SIG, le pape François appelle à la conversion écologique
J’avoue pour ma part un frisson horrifié devant la notion de monopole d’État. Je ne sache pas qu’il ait jamais fait mieux que la concurrence, hormis pour le rail. A fortiori lorsqu’il s’égare sur les chemins du cœur et des principes moraux, tels que l’écologie et la durabilité envisagés sous cet angle. Il suffit de prononcer ces mots pour que tout autre argument soit relégué au rang de mesquinerie coupable. A ceux qui, comme moi, manquent de grandeur d’âme et souffrent de vertige moral, je préconise une thérapie comportementale sous forme d’ateliers subventionnés.
Et pour ceux qui voudraient pousser le sacrifice plus loin encore, cherchant à acquérir anciens et nouveaux catéchismes pour le salut du monde et le leur propre dans l’autre, qu’ils fréquentent un peu les chapelles. Le Courrier nous apprend qu’un réseau baptisé EcoEglise accompagne les paroisses de Suisse romande dans la transition écologique, «en les aidant à concilier foi et respect de la Création». Car outre les SIG, le pape François appelle également dans son encyclique Laudato Si’ à une «conversion écologique». A quand une bulle de Robert Cramer? Seigneur! Je suis vraiment une âme damnée.