L'assiette au beurre
Charles Poncet dénonce «l'assiette au beurre», soit la tendance de la classe politique à se servir dans les finances publiques. Maryam Yunus Ebener lui répond.
L’assiette au beurre était un périodique admirablement illustré dénonçant la corruption de la classe politique française, accusée de ne penser qu’à se remplir les poches aux dépens du peuple. Plus généralement, cette expression haute en couleurs désigne un ensemble de privilèges et en particulier le profit excessif, les magouilles de politiciens, qui accaparent le pouvoir.
La gauche a pour l’assiette au beurre une fascination saisissante. C’est sans doute qu’elle a longtemps dû regarder les autres se goinfrer, mais maintenant que l’assiette est mise pour elle aussi, la voici prise d’une sorte de frénésie de s’empiffrer au passage.
Elle n’a pas le monopole de la rapacité, ni celui du copinage. N’est pas Cincinnatus qui veut et la tentation de se servir en prétendant servir la République est certes générale, mais la gauche a pour la friponnerie une singulière prédisposition. Les hommes et les femmes de gauche sont au favoritisme tripotant, comme l’Italie est au bel canto: l’alpha et l’oméga auquel on revient toujours.
Les trois mousquetaires
Pour ne prendre que les douze derniers mois, en avril Frédérique Perler, conseillère administrative de gauche verte, fait ou laisse engager la demi-sœur de sa plus proche collaboratrice sans piper mot, et en plus un couple d’amis parisiens avec une adresse bidon à Genève. Ne nous gênons pas!
Christian Brunier, patron socialiste des Services Industriels engage ses deux beaux-fils en 2017 et 2021, en toute discrétion et dès 2021, l’un deux est rattaché à la direction générale de beau-papa. Rien de tel que l’ambiance familiale dans le travail!
Carole-Anne Kast conseillère d’état socialiste, repêche un conseiller municipal de son parti, qui végétait au chômage, pour le mettre à la tête du Service des affaires communales sans mise au concours. Le social avant tout!
On notera avec inquiétude que sans le courage de quelques journalistes et celui de la chaîne qui m’accueille en particulier, tout cela aurait «passé crème» comme on dit, car aucun parti genevois ne renifle de trop près les braies du voisin pour voir si d’aventure quelque fiente malodorante s’y attarderait, de crainte sans doute qu’on ne s’intéresse aux siennes propres! Enfin, propres, si on peut dire...
Nous avons mis le Cé Qué Léno dans la constitution, fort bien, mais peut-être aurait-on pu fredonner aussi «Je te tiens, tu me tiens, par la barbichette».
À la prochaine leçon de morale qu’un vert, un socialiste ou un autre politique d’extrême gauche vous administrera la main sur le cœur, avec la pointe d’arrogance qui les caractérise, rappelez-lui la définition de l’hypocrisie: une attitude consistant à dissimuler son caractère ou ses intentions véritables, à affecter des sentiments, des opinions, des vertus qu'on n'a pas, pour se présenter sous un jour favorable et inspirer confiance. Ou comme le soulignait l’ennuyeux, mais admirable François de La Rochefoucauld, «l’hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu».
Maryam Yunus Ebener: «On rencontre des adversaires, mais jamais des personnes aussi méprisantes que celles inventées par Charles Poncet»
Pour la troisième fois, on me demande de répondre à la solitude de Charles Poncet. Cette fois, il revient sur les affaires de la gauche, celles dont la presse et Léman Bleu ont d’ailleurs abondamment parlé. Il cite nommément Frédérique Perler, Christian Brunier, et Carole-Anne Kast, tous mis hors de cause. Il aurait pu le faire à la manière d’un Nathanaël Rochat, avec férocité et humour. Dommage, dans sa chronique, Charles Poncet s’en prend à la politique. Tous pourris!
Hé bien non! cela fait maintenant presque une année que je préside le parti des Verts, et je peux vous dire que, à droite comme à gauche, les gens s’engagent en politique parce qu’ils défendent un projet de société qui leur tient à cœur. Personne ne vient pour s’enrichir, ni même pour sa famille. On rencontre des adversaires, mais jamais des personnes aussi méprisantes que celles inventées par Charles Poncet dans ses chroniques imaginaires.
«On rencontre des adversaires, mais jamais des personnes aussi méprisantes que celles inventées par Charles Poncet»
Je ne suis pas toujours d’accord avec Lionel Dugerdil, mais nous discutons régulièrement des problèmes que nous rencontrons en tant que président de parti, et je respecte la clarté de ses opinions. Le MCG a raison de demander pourquoi nos apprentis et nos diplômés, dont les écoles sont financées par nos impôts, ne sont pas plus valorisés sur le marché du travail. Et l’ensemble de la gauche mérite le succès lorsqu’elle interroge l’incapacité de nos salaires à financer les besoins fondamentaux des familles.
Ceux qui publiquement méprisent la politique ont tort. La chute historique et jamais vue de la fécondité des femmes à l’échelle de la planète, y compris la Suisse, est un événement majeur que personne ne peut ignorer et qui mérite une réponse politique forte. Pourquoi ne devrions-nous pas débattre des propositions de la droite ou de la gauche sur le financement de nos assurances sociales, alors que tout le monde sait que le vieillissement de la population ne permettra pas de les financer avec le modèle actuel? Enfin, personne ne peut nier que la gauche et la droite ont une vision radicalement différente du réchauffement climatique, et des politiques publiques qui doivent y répondre. La politique c’est le collectif et c’est tant mieux. L’individualisme est allé trop loin.
Monsieur Poncet, vous devriez profiter de la vitrine que vous offre Léman Bleu pour parler des thèmes que vous aimez plutôt que de vous énerver tous seul dans votre coin. Je vous ai entendu, à de multiples reprises, vous réjouir de privilégier la forme sur le fond. Je ne vous cache pas que j’ai hésité, vu la platitude du sujet sur lequel on me demande de m’exprimer ce soir, à solliciter une intelligence artificielle pour vous répondre, en précisant que je voulais un texte de type pamphlétaire, dans le style qui vous amuse tant. Franchement le résultat était très bon et a trompé la plupart des gens à qui je l’ai fait lire.
Alors que les IA génératives utilisent des modèles statistiques sophistiqués pour écrire des textes que vos amis pourraient croire sortis de votre esprit, ne serait-il pas temps, Monsieur Poncet, de faire autre chose que de vous relire en vous autocongratulant, et de vous intéresser à la beauté du monde, plutôt que de médire les gens?