Opinions

La baraque à Zep et les millions du contribuable

12.01.2025 10h00 Laure Lugon Zugravu

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La Ville de Genève veut acheter la maison de Zep, alors qu'un référendum est lancé. En dépit de ses justifications, c'est un désir irrépressible de possession qui se cache sous cette volonté, soutient notre chroniqueuse.

Le monde politique souffre de frénésie consumériste. Outre-Atlantique, il y a celui qui veut acheter le Groenland. Ici, la Ville de Genève veut acheter la baraque à Zep. «De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins». La maxime des fondateurs du socialisme fonctionne pour tout le monde.

Le projet de Trump paraît tout aussi foireux que celui de la seconde. Alors que les fêtes semblaient bien parties, avec une baisse d’impôts actée dans les urnes et la neige qui tombe en dépit des augures pisse-froid, Genève a lamentablement échoué à produire un conte de Noël à la hauteur de sa légende.

Celle-ci s’apprêtait à offrir à Philippe Chappuis, «père de Titeuf», un cadeau à 21,5 millions en acquérant sa maison de maître du XVIIe siècle et le domaine alentours, pour cette modique somme sortie de la poche du contribuable. But avoué: soustraire aux mains sales du privé le patrimoine qui nous revient de droit. L’objectif est si noble que le Conseil municipal vote dans l’urgence, les yeux bandés, puisque le rapport n’est pas disponible – il n’est sorti que cette semaine. D’autant que le vendeur, comme tout vendeur, prétend disposer d’une offre concurrente. S’il se fût agi d’un oligarque ou d’un trader vorace de Trafigura à la place de Zep, je parie que la Ville aurait âprement négocié le prix, à supposer qu’elle fût entrée en matière.

Pourtant, des élus de droite s’opposent à faire affaire aussi vite. Flairant le référendum, un collectif de soutien invite la presse au domaine pour éviter ce désastre. Si Zep participe, ce n’est pas parce qu’il veut empocher des millions - les artistes n’ayant pas de vils motifs -, mais bien parce qu’il veut offrir un écrin de verdure aux Genevois. Et ce n’est pas parce que, deux semaines plus tard, la presse révèle qu’il s’est acheté une autre propriété à 8,7 millions de francs qu’il faut en douter.

Associations et collectifs, leur usine à trolls, chauffent à plein régime, arrosant la presse et les réseaux de cette injonction: «Il ne faut surtout pas signer ce référendum!»

Mais les affreux épiciers de droite s’entêtent à vouloir consulter la populace. Le PLR, le Centre, l’UDC et les Vert’libéraux - ces derniers ayant pour l’occasion privilégié la ligne budgétaire au décor végétal – lancent le référendum. Devant cette pénible perspective, la gauche engage une contre-offensive fébrile. Elle, si fière d’avoir gagné plusieurs référendums, conteste à ses adversaires cette même méthode. Ses élus se mettent en mode campagne. Associations et collectifs, leur usine à trolls, chauffent à plein régime, arrosant la presse et les réseaux de cette injonction: «Il ne faut surtout pas signer ce référendum!» Ah bon? Et au nom de quoi, je vous prie?

Au nom d’une aspiration irrépressible. Tout indique que ce puissant désir d’achat est d’abord émotionnel. Un peu comme quand vous vous convainquez que vous ne passerez pas l’hiver à moins d’acquérir ces bottes exorbitantes dont la vendeuse vous assure qu’il n’en reste qu’une paire. Tous les publicitaires rêvent de déclencher chez le chaland ce genre d’auto-justification spécieuse. Dans le cas d’espèce, la voici: la «campagne Masset» représente l’affaire du siècle, puisque le peuple gagnera quelque feuillage à l’ombre duquel pleurer sa misère. Ce qui rend l’affaire cocasse, c’est que cette soif de posséder est ici le fait d’un courant politique anti consumériste et hostile à la propriété. Quand on aime, on ne compte pas, qu’on soit un affreux capitaliste ou un sobre apôtre de la redistribution, surtout si l’on n’a pas soi-même gagné l’oseille.

Au désir naturel de possession s’ajoute aussi celui de tutoyer les nantis. S’approprier la pierre et la terre des bourgeois, des patriciens ou, mieux encore, des artistes fortunés - autrement dit ceux qui ont réussi dans le respect du cadre moral - s’apparente à un bond ascensionnel de classe. Un peu comme le poète désargenté invité chez la baronne et dont il adoptera le style, les codes, éventuellement la couche et bientôt, la notoriété et l’argent.

Quand les communistes soumettaient le bourgeois, la gauche genevoise acquiert ses biens pour lui ressembler, mais au prétexte d’une logique redistributive. À défaut de pouvoir exproprier, elle ambitionne désormais de nationaliser, mais au prix du marché. Je propose qu’on laisse aux gueux le soin d’en décider. Il se trouvera bien quelques sceptiques qui n’iront pas prier pour le succès de cette transaction lors du pèlerinage organisé par ses soutiens, ce samedi, sur les terres à reprendre.