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Les toxicomanes sont-ils des pestiférés?

18.10.2024 15h11 Rédaction

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Les toxicomanes sont-ils des pestiférés? Faut-il tous les mettre en prison? Et si on essayait plutôt autre chose? C'est ce que propose Sylvain Thévoz, en liberté, face à Murat Julian Alder.

Soutenez-les ne les punissez pas. C’est affiché en grandes lettres sur les murs du Quai 9 à Genève, espace d’accueil et de consommation de drogues à moindres risques. Ouvert en 2001 à côté de la gare, des containers y avaient été installés à la hâte à l’époque pour faire face à une scène ouverte de la drogue. Ces containers sont toujours là, affrontant la même précarité. Genève était à l’époque la première ville de Suisse romande à ouvrir, pour les usagères et usagers de drogues, un local d’accueil et de consommation de stupéfiants à moindre risques. Elle et a maintenant 20 ans de retard.  

Une loi interdit aux toxicomanes de mendier et les envoie en prison s’ils le font. Cela viole un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme. Les incarcérer finit de les désocialiser. Ils ressortent en manque et retournent au même endroit s’anesthésier. Ils s’y font agresser et dépouiller. Une jeune femme amendée pour mendicité s’est vue proposer 20.- par un passant pour une faveur sexuelle. Sa vulnérabilité l’expose aux abus. La répression policière aggrave sa situation.

Les personnes en situation de toxicomanie devraient être considérés comme des malades et traitées comme tel. En faire des criminels à pourchasser est contreproductif. Que dit le commandant du corps de police de Lausanne? Une personne qui se drogue ne doit pas le faire aux yeux de tout le monde! Cette position hygiéniste et moraliste est nulle. Ce commandant préfère qu’ils se cachent dans les bois pour y faire des overdoses, car les rues doivent être propres de toute souillure. La mendicité dérange, la pauvreté dérange. Alors 200 policiers à Lausanne vont désormais jouer les «dames pipi» et redoubler d’ardeur sur la mendicité. Ils auraient pourtant bien mieux à faire et ils le savent.  

La pose de caméras de sécurité, de policiers supplémentaires et de grillages surélevés permet de lutter contre les pauvres, pas de réduire la pauvreté. La pose de caméras est inutile et éparpille les scènes de transaction. Du fait des déplacements forcés et d’interdictions de périmètres, des quartiers paisibles deviennent des zones de tensions. Les consommateurs pourchassés, harcelés, méprisés n’ont plus rien à perdre. Tout allait bien aux Grottes avant que l’utopie d’une tolérance zéro aux Pâquis n’y mette un désordre monstre. L’échec du tout sécuritaire est clair. Les prisons sont pleines de pauvres gens ayant consommé dans l‘espace public. Une fois libérés ils y retourneront.

La police est éreintée de faire toujours le même travail sans obtenir de résultats. Le blues des bleus est palpable. Avoir toujours le même défi devant les yeux et y répondre à côté est minant. Cela conduit à  des dérapages. Combien d’interpellations pour délits de sale gueule d’honnêtes citoyens au seul motif de leur couleur de peau ? 5 à dix fois par jour une personne habitant proche de la gare est contrôlée, au simple motif qu’elle est racisée et marche dans la rue.

Le problème de la toxicomanie est un problème de santé publique et de précarité sociale. Voilà des années que des associations demandent l’ouverture de lieux d’hébergement nocturne ou les consommateurs pourraient être à l’abri et suivi médicalement. Personne ne peut tenir dans la rue sans se défoncer. Personne ne résiste à la folie et à la tentation de l’automédication en étant à la rue. Les habitants, les commerçants ont raison d’être excédé.

Mais le problème, ce n’est pas le crack, le fentanyl ou la coke. C’est le manque de soins et de protection pour les consommateurs, leur criminalisation constante qui aggrave la situation. Vous savez d’ailleurs pourquoi le plan crack a été mis en œuvre avec 8 mois de retard à Genève? Parce que la droite ne voulait pas en voter le budget. Ces gens aggravent les problèmes qu’ils sont incapables de régler depuis 30 ans à la matraque.  

A cause de politique publiques mal orientées, on n’avance pas dans la recherche de solutions. Or, celles-ci existent, elles sont bien connues. 1) Il est urgent d’ouvrir de nouveaux lieux pour accueillir inconditionnellement les personnes souffrant de dépendances, 2) de renforcer leur accès aux soins et aux droits sociaux 3) de valider leur pleine citoyenneté sans discrimination 4) d’œuvrer à la dépénalisation de l’usage de toutes les drogues. Vous voulez des résultats? Soutenez-les ne les punissez pas. On ne lutte pas contre une maladie avec une matraque.

Murat Julian Alder: «Il nous propose rien de moins que la dépénalisation de l’usage de toutes les drogues»

L'objectif de la politique suisse en matière de drogues est de minimiser leur consommation et ses conséquences négatives à la fois pour les consommateurs et pour l’ensemble de la société.

À cette fin, la Suisse a fait œuvre de pionnier mondial et s’est doté d’une stratégie nationale en matière d’addictions, qui repose sur quatre piliers, que sont 1) la promotion générale de la santé, la prévention et le repérage précoce. 2) La thérapie, le conseil et la réinsertion. 3) La réduction des risques et des dommages et 4) le contrôle et la répression.

Cette législation fédérale, qui a fait ses preuves, comprend notamment le code pénal suisse et la loi fédérale sur les stupéfiants, lesquels poursuivent à la fois la consommation et le commerce de stupéfiants.

Dans une jérémiade un peu simpliste dont mon collègue socialiste Sylvain Thévoz à le secret, ce dernier nous propose rien de moins que la dépénalisation de l’usage de toutes les drogues, laissant ainsi la porte grande ouverte à toutes sortes de dérives, puisque cela aurait indéniablement pour effet de créer un appel d’air international qui sera minutieusement exploité par les réseaux de trafic de stupéfiants.

À cette vision irresponsable, qui aurait surtout pour conséquence d’aggraver la situation, je préfère le plan d’action que le Conseil d’Etat a mis en place afin de lutter contre l’explosion dramatique de la consommation de crack à laquelle nous assistons à Genève depuis deux ans.

Comme chacun d’entre nous, les consommateurs de stupéfiants ont le droit à la dignité humaine, à la liberté, à la vie, à la santé et à la sécurité. Or, le crack n’est pas un stupéfiant comme les autres. Nous parlons d’une drogue dure et dangereuse, pour laquelle il n'existe aucun produit pharmaceutique substitutif. Il est donc illusoire de penser que nous viendrons à bout de ce fléau sans agir aussi bien sous sur le front de la sécurité que sous l’angle social et de la santé.

C’est pour cette raison que le plan d’actions cantonal contre le crack comprend à la fois une présence accrue des forces de l’ordre sur le terrain et un renforcement personnel et logistique de l’association genevoise Première Ligne, qui joue un rôle essentiel à Genève en œuvrant à améliorer la santé et les conditions de vie des personnes toxicodépendantes, à réduire les risques socio-sanitaires et à favoriser l’accès de ces personnes aux institutions médico-sociales.