Lugon sans permission: épidémie de subventionnite aiguë
À la veille des élections municipales, les candidats de droite comme de gauche rivalisent de propositions pour distribuer l’argent public. Genève est passé maître dans la discipline du lancer de subventions.
Que faire lorsque le monde chancelle, que la logique des alliances est en miettes, que les dividendes du multilatéralisme ont cessé de rentrer?
a) Rien.
b) Paniquer.
c) Se réfugier dans le déni et faire comme à l’ordinaire.
d) Planter des arbres et promettre des subventions.
Ce questionnaire eût-il été soumis à Genève que les candidats aux élections municipales auraient, sans surprise, coché les troisième et quatrième réponses. Par absence d’imagination autant que par atavisme politique devant l’échéance électorale.
À leur décharge, il faut dire qu’on n’attend pas de la mairie de Genève qu’elle mette fin à l’idylle Trump-Poutine, le premier ayant été sacré «employé du mois» par le second. Notre bonne ville s’occupe déjà suffisamment des affaires du monde, sous l’angle autrement plus concernant des peuples autochtones tels que Rohingas ou autres Iroquois, ce qui exclut d’emblée Russes et Américains.
Comme l’infiniment petit a valeur de rassurant refuge, les seize candidats au Conseil administratif de la Ville sont donc arrivés, lundi soir au Grand débat de Léman Bleu, les poches garnies de savoureuses politiques arrosoir. Une distribution de cadeaux frénétique pour toutes et tous – pour le dire une fois selon la nouvelle normalité épicène à laquelle je me refuse - parents, artistes, piétons, automobilistes, locataires, personnes sous stupéfiants, fêtards, insomniaques, aînés. Des soldes printanières du plus bel effet, des promesses enchanteresses au concert philarmonique interpartis.
Transformer les bourgeois en dames patronnesses 2.0
Maîtrisant l’art de la dépense et le lancer de subventions sur le bout des doigts, la gauche fait désormais des émules à droite. Après avoir convaincu cette dernière de se transformer en apôtre de la diversité et de l’inclusion par la seule suggestion que leur préférer le mérite la jetterait de facto dans le camp fasciste, la voici en passe de transformer les bourgeois en dames patronnesses 2.0.
Christina Kitsos a lancé les hostilités en vantant sous forme de dithyrambe quasi trumpien sa municipalisation des crèches - avec revalorisation salariale, cela va de soi. Cette entreprise ayant été saluée presque unanimement, y compris par la presse libre, aucun candidat ne lui a demandé d’articuler le coût de cette fonctionnarisation des jardinières d’enfants. Car ses adversaires étaient occupés à surenchérir. Bons de garde selon le revenu jusqu’à 2000 francs par mois pour Simon Brandt de LJS, afin d’éviter de fonctionnariser tout le monde. Un système d’aide financière auquel le PLR et l’UDC sont aussi sensibles. Solution de modes de garde tutti frutti pour les Vert’libéraux, qui ont lancé avec Le Centre une initiative populaire que Boris Calame n’a pas cru bon de résumer. Ou encore ressusciter les mamans de jour pour le MCG Amar Madani.
À Michael Drieberg et à Daniel Rossellat les stars et les paillettes
Et puisqu’on y est, pourquoi ne pas municipaliser les artistes, en plus des 350 millions de subventions culturelles? On a nommé ces baladins désargentés à qui la gauche au grand complet promet surtout des spectacles de rues, laissant les stars et paillettes à Michael Drieberg et à Daniel Rossellat.
Sur la mobilité, si la PLR Natacha Buffet-Desfayes a tenté très timidement d’évoquer les automobilistes, il aura surtout été question de gratuité des TPG pour les seniors, dont le canton ne paie actuellement que la moitié de l’abonnement. Pour les coiffeurs, il a été question de faire raser gratis… Ah non, pardonnez-moi. En revanche, pour les riverains et les entreprises qui auraient à souffrir du bruit pour cause d'impéritie de la Ville en matière d’aménagement, LJS propose un dédommagement. Ce à quoi la droite mercantile applaudit.
Des écoquartiers aux allures de forêts primaires où se produiraient comédiens et funambules municipalisés
Profitant du climat politique, la gauche a traduit cette semaine un de ses fantasmes en initiative populaire: s’attaquer à la propriété privée pour en faire un bien public. Cette proposition électoraliste de l’Asloca veut étendre le droit de préemption de l’Etat, actuellement possible sur les terrains, aux immeubles. Frustrée d’avoir provisoirement raté l’achat de la villa Zep, la Ville pourrait ainsi agrandir son parc immobilier maous, 5,25% du patrimoine, pour en faire du logement social. Cette forme de nationalisation est aussi une obsession des Verts et figurait d’ailleurs dans leur programme de législature. Je vous brosse le tableau complet si tout avait été mis en œuvre comme escompté: des écoquartiers aux allures de forêts primaires où se produiraient comédiens et funambules municipalisés et où s’ébattraient les gosses sous l’œil de nounous fonctionnaires ou de grands-mères subventionnées.
Et les entreprises, me direz-vous, échappent-elles à la générosité étatique? Que nenni. Pour onze petits millions seulement, le département de l’Economie va nous transformer le canton en pôle de l’innovation. Où il est question de «cercle vertueux et démultiplicateur», ce qui m’a fait penser à l’économie circulaire, mais j’avoue n’avoir jamais eu d’aptitude à saisir la profondeur de ces concepts. J’admets être restée fixée sur l’idée qu’un département de l’Economie efficace ne doit ni aider, ni suggérer d’entreprendre, mais déréguler et simplifier les procédures pour que l’économie crée des emplois, amène de la prospérité et accessoirement génère du profit. Aussi confessai-je un décalage culturel de plus en plus manifeste. Mais il est vrai qu’après les dix millions pour les ONG, onze millions pour les start-up, ce n’est pas cher payé.
Genève a-t-elle oublié d’aider quelqu’un? A l’heure où menacent les canons et où l’Europe redevient carnivore, une petite rallonge à Ruag et quelques subventions aux bouchers-charcutiers, peut-être?
PS: Vous êtes nombreux à lire cette chronique et je vous en remercie. Mais saviez-vous que Léman Bleu a désormais une application? Il suffit d'avoir un iPhone et de la télécharger ici.