Opinions

Lugon sans permission: du bonheur d'être Genevois

21.06.2025 07h00 Laure Lugon Zugravu

La cité du bout du lac est la cinquième ville au monde où il fait bon vivre. C'est le résultat d’un classement tout ce qu’il y a de plus sérieux. Dont acte: ode à nos autorités, stop à la critique.

Commencer par un aveu, un amendement, une pénitence. En mon nom propre et au nom de la classe médiatique qui voudra se reconnaître dans la critique acerbe de nos autorités, dire ici que j’ai montré à des occasions répétées une sévérité outrancière.

C’est à la lecture d’une petite information glissée entre les rodomontades délirantes de Trump et la menace d’embrasement généralisé que j’ai pris conscience du manque de clémence envers nos pouvoirs publics. Cette nouvelle, la voici: Genève est la 5e ville au monde où il fait bon vivre. C’est le «global Livability Index» qui le dit, une émanation du très sérieux The Economist Group. Chaque année, ce classement nous renseigne sur les cités de rêve élues parmi 173 villes du monde.

Première observation: Genève fait toujours partie des nominées, ce qui démontre qu’aux yeux du monde (exceptés les Vaudois), elle capitalise toujours sur une renommée que je pensais surfaite. Genève ne ressemble donc pas à cette bourgade provinciale et ingérable que je me plais à décrire. Bien sûr, avec son arrogante deuxième place, Zurich nous bat à nouveau. N’est pas en mesure de vaincre la Paradeplatz qui détient le parc des Cropettes.

Si nous avons pu critiquer l’octroi de subventions à des associations bobos devenues rentières de gauche, c’était oublier le rayonnement entretenu par cet édile incontesté

Étant donné les critères retenus pour ce concours, nous aurions dû, moi la première, prendre la mesure de notre chance. Le système de santé, d’abord. Personne ne disconviendra de l’excellence de nos hôpitaux. S’il arrive que certains peinent à en payer le prix, ou que d’autres, s’étant assuré la Rolls avec des complémentaires, n’ont pu en profiter pendant plusieurs mois, faute de cessation des hostilités entre belligérants de la santé, il serait ingrat de sous-estimer les bénéfices que nous tirons de nos primes maladie exorbitantes.

La culture ensuite. Rendre à César ce qui est à César, j’ai nommé le déjà regretté Sami Kanaan. En quatorze ans de pouvoir, il a conservé à Genève son lustre culturel. Vous me direz qu’avec 300 millions de budget annuel, c’est bien le moins. Donnez-lui 600 millions et il fera pâlir d’envie la fondation Gianadda à Martigny. Et si nous avons pu critiquer l’octroi de subventions à des associations bobos devenues rentières de gauche, c’était oublier le rayonnement entretenu par cet édile incontesté. Ce fameux rayonnement de Genève, mantra fondé sur une tradition crépusculaire, dont je peinais à voir qu’elle donnât encore des pousses vives.

En parlant de jardinage, l’environnement est aussi un critère du classement international. Contrairement à ce que j’ai pu alléguer, les campagnes de végétalisation en ville ont possiblement bétonné le score de Genève. Le mieux étant l’ennemi du bien, je suggère tout de même qu’on calme la cadence pour laisser quelques voies de passage pour les vélos-cargos. C’est sûrement dans cet attelage que circulent les jurés du concours. Fussent-ils venus par un vol EasyJet retardé, suivi d’un taxi jaune, qu’ils auraient fait dégringoler la note de notre cité.

Quatre fois plus de millionnaires qu’au tournant du millénaire. Voilà qui ne va faire les affaires de Rémy Pagani, lancé à l’assaut du Conseil d’État

Nous voilà amenés tout naturellement au critère des infrastructures. On déplore de nombreux chantiers sans coordination. Mais le canton est de retour, hosannah! Maudet a promis cette semaine qu’il allait calmer l’ardeur des SIG et autres éventreurs de routes. Et si nous avons toujours les transports publics les plus lents de Suisse, le Léman Express est venu rattraper cette contre-performance.

Sur le critère de l’éducation, rien à redire non plus, Genève est au top. Nos élèves ne sont pas très fortiches aux classements PISA, les derniers quant au taux de réussite à l’EPFL, pas très forts en thème, d’autant plus que le latin n’est plus défendu que par d’obscurs pétitionnaires. Mais ces quelques points d’inquiétude ne sauraient faire oublier l’essentiel: la constance dans l’indignation de notre corps professoral, qui fait du moindre règlement un mobile de combat syndical. Pour le bien des élèves, faut-il le préciser. Non? Tant mieux, c’est donc acquis.

Dernier critère: la stabilité. Stabilité économique, c’est une évidence. L’argent coule à flots, les millionnaires invisibles pullulent – un rapport d’UBS montre que posséder un logement en Suisse fait de vous un millionnaire qui s’ignore et qu’il y en a plus de 1,1 million en Suisse, quatre fois plus qu’au tournant du millénaire. Voilà qui ne va faire les affaires de Rémy Pagani, lancé à l’assaut du Conseil d’État. Il faut qu’il appelle l’économiste Piketty qui doit déjà être en train de pondre une somme pour invalider cette mauvaise nouvelle.

La critique est mesquine, quand la louange grandit son auteur. Cette dernière crée un genre de lien social. Une complaisance de subordination que je veux éprouver

La stabilité politique, enfin. Elle n’est plus à démontrer, solide, mémorielle, ancestrale. À peine une fraude électorale à Vernier, mais rien de sérieux, somme toute. La Chancellerie d’ailleurs n’y croyait pas, allant jusqu’à recommander à la Cour de justice de ne pas invalider le scrutin. Personne n’a compris pourquoi elle s’obstinait dans sa pensée positive? Mais pour insister sur la séparation des pouvoirs, pardi! Elle n’est pas aux ordres de la justice et s’il lui plaît de croire qu’à Vernier, tout était réglo, bravo à elle. Et ne me dites pas qu’elle vit le déshonneur aujourd’hui. Elle a juste de la suite dans les idées, et je veux ici défendre sa foi et sa liberté de conscience.

Assez de critiques, il suffit. La critique est mesquine, quand la louange grandit son auteur. Cette dernière crée un genre de lien social. Une complaisance de subordination que je veux éprouver. Je décrète un moratoire sur la critique. Désormais l’ode sera privilégiée. Ode à Genève, hymne à nos autorités. Et j’irai, la tête en berne, acheter des indulgences au Conseil d’État. Vive Genève, que triomphe la bienveillance.