Opinions

Lugon sans permission: du rectorat à la mer, libérez l'alma mater!

17.05.2025 07h00 Laure Lugon Zugravu

Les étudiants propalestiniens jouent au chat et à la souris avec le rectorat de l'université de Genève. La résolution du conflit ne viendra pas, et chacun le sait.

Vous ne savez plus, à l’heure qu’il est, si l’université de Genève est occupée par des étudiants propalestiniens ou libérée de ces incursions? Voilà qui est normal, tant la chose est fluctuante. S’ils ont quitté les lieux jeudi soir, faisons le point une fois pour toutes sur cette nouvelle séquence de chat perché.

Après une première occupation la semaine dernière – saison 2, pâle suite de celle de l’an dernier –, suivie d’une menace d’intervention policière, évidemment non tenue, les étudiants ont débarrassé le plancher de leur plein gré. Fourbus mais satisfaits après une nuit passée sur les canapés de fortune à refaire le monde en grignotant des poke bowls, pimentés par une plainte pénale pour violation de domicile.

Pourtant, ils avaient palabré près d’une heure avec la rectrice, Audrey Leuba. Comme ce différend n’a pas progressé d’un iota depuis l’année dernière, on imagine le dialogue de sourd. La Coordination étudiante Palestine demandant l’arrêt des collaborations avec les universités israéliennes, la patronne de l’alma mater toute à son refus de prendre position sans l’aide du fameux «rapport scientifique». Lequel, justement, a été disqualifié pour cause de plagiat. C’est ballot. Il faut y remédier. Cela prendra encore du temps, d’autant plus que l’institution attend aussi des contributions externes indispensables à son examen de conscience. Un atermoiement opportun qui va conduire le rectorat aux portes des vacances, lorsque les militants s’en iront à la mer bachoter leurs examens repoussés.

Une nouvelle nuit à grignoter des poke bowls dans les couloirs de la gardienne de l’ordre établi

Cette semaine, rebelote. L’état-major de la jeunesse engagée dans les bons sentiments a changé de tactique: blocage des bureaux de la méchante rectrice, déploiement de banderoles et drapeaux, plantes et mobilier déplacés. Que voulez-vous, pour tenir le siège du rectorat, il faut consentir à un minimum de désordre. Retranché dans son centre de pilotage institutionnel, l’autorité a donc déposé plainte pénale – on ne les compte plus - et instauré un contrôle d’identité aux portes d’Uni Dufour. Mais pendant que les plus féroces guerriers tenaient la position avec courage, un appel sur les réseaux à débarquer en masse a conduit des séditieux à forcer les barrages. Ils ont poussé la témérité jusqu’à passer une nouvelle nuit à grignoter des poke bowls dans les couloirs de la gardienne de l’ordre établi. Puis sont rentrés chez eux.

Voilà pour la chorégraphie, jouée, rejouée, surjouée. Un petit ballet aux codes rôdés fatiguant le spectateur. Sur l’intrigue, rien de nouveau, les acteur·ices·x accusant la tête d’affiche Leuba de mesures antidémocratiques, épithète qu’elle leur retourne. Très convenu. Quant à la question de fond – le boycott des universités israéliennes – qu’il me soit permis de faire l’impasse, sauf à dire qu’il s’agit d’une distraction intellectuelle dans une tragédie.

D’un point de vue institutionnel en revanche, cette affaire révèle un modèle éreinté. Celui du dialogue, du compromis et d’une certaine confiance en l’autorité. Au désœuvrement idéologique de la fin du XXe siècle a succédé l’époque des causes. Mais le ramollissement des esprits conduit à faire semblant de croire à une possible résolution bipartite.

Or chacun des adversaires sait que le dialogue est impossible. Les étudiants savent que pour le rectorat, il n’est qu’une manœuvre dilatoire. D’une certaine manière, je comprends leur exaspération. A eux l’émotion, à lui la politique.

Ils sont aux universités ce que les activistes climatiques étaient au bitume: une poignée d’enthousiastes déterminés à imposer leur mission

Le rectorat, lui, sait que les activistes ne cesseront pas à moins qu’il ne cède à l’entier des revendications. Ce qu’il ne peut pas faire à moins de se transformer en Centre autonome. Peu rompu à la «guérilla» de couloirs, le rectorat se retranche en brandissant la venue prochaine de prises de position et de rapports aux noms ampoulés et vaseux qui bien évidemment ne diront pas si - et qui - il faut boycotter, étant donné le nombre de prétendants à l’exclusion totale ou partielle. Il espère surtout la fatigue des révolutionnaires en herbe. D’autant plus que ces derniers ne représentent pas une majorité d’étudiants. Ils sont aux universités ce que les activistes climatiques étaient au bitume: une poignée d’enthousiastes déterminés à imposer leur mission à l’écrasante majorité d’abrutis que je représente. Qu’il se trouve des camarades universitaires désireux de passer leurs examens échappe aux activistes de salons (académiques).

Je prédis donc que ce bras-de-fer ne trouvera pas son épilogue avec un rapport que plus grand-monde n’attend. Mais j’aimerais bien que l’alma mater nous fasse savoir si elle compte participer longtemps à cette mascarade.

Dans l’immédiat, j’encourage tout ce petit monde à aller faire un tour du côté de Bâle dès ce soir. Il semble qu’une formidable action de boycott d’Israël à l’Eurovision y ait cours. Ça nous fera des vacances.