Lugon sans permission: l'outrance sans panache de la nouvelle gauche
Les codes du populisme grossier et insultant ont passé à gauche. On entend désormais des «Fuck Trump» et autres joyeusetés prononcés par des élus. Ce faisant, ils détournent le sens des mots en espérant disqualifier pour mieux soumettre l'adversaire.
Comment rester calme quand l’époque sombre dans une néoréalité grotesque? Voyez le recensement des insanités de la semaine.
Mardi, veille de l’élection au Conseil fédéral, la présidente des Verts Suisse, Lisa Mazzone, débat à la RTS avec des parlementaires. Elle avait au préalable attribué la note de zéro sur dix au ticket du Centre. Rien ne lui convenait: le genre des candidats, leur âge -comme à l’époque de sa défaite contre Carlo Sommaruga et Mauro Poggia -, leur positionnement politique. Lancée dans une diatribe décrivant Pfister et Ritter comme des sous-marins du PLR et de l’UDC, la jeune femme progressiste prononce alors ces mots: «Martin Pfister est dans la ligne de ce canton de Zoug qui mène une politique proche de Poutine en matière économique.» Personne ne relève l’outrance, l’auditeur consterné reste avec la vision du maître du Kremlin bras dessus, bras dessous, avec ses valets zougois dansant sur les sanctions.
Mercredi soir, Conseil municipal de la Ville de Genève. La socialiste Joëlle Bertossa, candidate à la mairie et bien partie pour la conquérir, lance, au terme d’un discours musclé contre le président des Etats-Unis, un joyeux «Fuck Trump!» avec goguenardise. La présidente ne reprend pas l’oratrice et c’est bien normal. Qui aujourd’hui n’use pas de grossièreté s’agissant de Trump en est un partisan.
Les propos de la hiérarchie du PS font jurisprudence
Cette nouvelle normalité conduit donc les élus à insulter dans les hémicycles ou sur les réseaux autant que faire se peut, au prétexte de réaliser un acte de résistance. Joëlle Bertossa n’a d’ailleurs fait que suivre sa hiérarchie dont les propos font jurisprudence. La semaine dernière en effet, le coprésident du PS Suisse, Cédric Wermuth, avait ouvert les hostilités en postant un «Fuck you, Mr. Trump». Une formulation nécessaire pour briser le silence de la Suisse, avait-il expliqué par la suite en matière de justification. Quand l’élégance soutient l’efficacité.
Choquer, blesser, invectiver, faire des raccourcis saisissants au mépris de sa propre intelligence. Disqualifier pour mieux soumettre. Faire preuve de grossièreté, de muflerie en public et se sentir courageux: pauvres élus qui se méprennent sur la notion d’audace, laquelle suppose une prise de risque. Ceux qui cèdent à cette impertinence à la mode n’ont pas conscience de céder au populisme qu’ils veulent dénoncer.
D’abord l’apanage de la droite dure, l’invective et l’outrance verbale ont désormais passé à gauche. Cette dernière a adopté les codes que jadis elle réprouvait. En Suisse, ce registre a d’abord été utilisé par l’UDC. On se souvient des provocations de l’ancien conseiller fédéral Ueli Maurer. Récemment, du salut bras tendu du MCG Thierry Cerutti, qu'il conteste.
L'insulte, l'arme des faibles
Ce faisant, les adeptes de ces nouvelles pratiques détournent le sens des mots, les affaiblissent jusqu’à les vider de leur poids historique, pour autant qu'ils en aient la maîtrise. L’adjectif trumpiste à toutes les sauces, passe encore, encore qu’il balaie large et n’est souvent qu’un anathème jeté à la figure des gens de droite, quand bien même beaucoup ne se reconnaissent ni dans le souverainisme, ni dans la droite anti-immigration ou encore le mépris pour Zelensky. Mais d’autres termes autrement plus chargés – extrême-droite et fascisme - opèrent un retour en force spectaculaire, au mépris de la réalité, sale et meurtrière, qu’ils recouvrent. Je préfère penser que ceux qui en abusent ne savent pas ce qu’ils disent. Car lorsqu’on est dans le camp du Bien - et c’est tout le mal que je vous souhaite - on est autorisé à offenser tout oppresseur désigné et plus largement tous ceux qui ne pensent pas comme vous.
Pour tout vous dire, je n’en peux plus de ce rétrécissement de la pensée. Quand j’étais gosse, mon père me disait que l’insulte était l’arme des faibles. Il avait raison, papa, mais je suis en train de perdre mes nerfs. Alors si vous avez quelque chose à redire contre cette chronique, venez. On ira s’expliquer dehors, à la régulière.