Lugon sans permission: la droite genevoise ou la liberté de perdre
La PLR Natacha Buffet-Desfayes, sans alliance, n’a pas été élue en Ville. Derrière le discours sur les valeurs du parti bourgeois se cache le refus du risque.
«Si Natacha Buffet-Desfayes est élue, il va neiger», ai-je entendu avant le deuxième tour. Il a neigé, abondamment. Certes en Valais, mais pour le peuple de droite, le Vieux-Pays et ses résidences secondaires est une extension de la République. Il a neigé, mais Natacha n’est pas élue.
Au soir du premier tour, comme à l’accoutumée, la mosaïque des partis de droite a préféré jacasser que calculer. De toute manière, le Centre n’avait pas besoin des autres pour faire réélire Marie Barbey-Chappuis. Ayant refusé une alliance élargie jusqu’à l’UDC afin de conserver son certificat de bonne vie et mœurs, le Centre a donc servi la morale pour les crédules. Devant tant d’intégrité, le PLR n’a pas osé partir avec la droite dure. Comme il n’assumait pas, le parti bourgeois a redoublé d’efforts didactiques à l’intention des sceptiques pour expliquer que n’être avec personne, c’est être avec tout le monde.
Raté, évidemment. À l’arrivée, la réalité est coriace. La Centriste a été élue grâce aux électeurs de gauche - saluons ici leur perspicacité à reconnaître Marie Barbey-Chappuis comme l’une des leurs - et les votes de droite se sont éparpillés.
Ce discours martelé depuis des années consacre l’impossibilité morale d’une dynamique opportuniste dans le seul but de gagner
La droite eût-elle voulu servir la gauche qu’elle ne s’y serait pas prise autrement. Tout ce que Genève compte d’analystes avisés fait d’ailleurs en sorte qu’elle finisse par croire elle-même à la pertinence de son refus d’obstacle: l’alliance à droite ne serait pas naturelle, le fossé idéologique trop profond, on ne s’allie pas avec le diable. Ce discours martelé depuis des années consacre l’impossibilité morale d’une dynamique opportuniste dans le seul but de gagner. Autrement dit: la mésalliance serait pire que l’échec. C’est vrai finalement. Mieux vaut perdre et disparaître que gagner en respectant les règles du jeu. Au moins est-on sûr d’être plus vertueux que les camarades. C’est toujours ça.
À droite, la discorde tient de l’immuable et l’alliance s’apparente à l’aléa climatique. Voici deux incidents de cet ordre. En 2023, l’alliance de droite élargie a permis l’élection de la centriste Delphine Bachmann au Conseil d’État, et dans le canton de Vaud une année plus tôt, celle de la centriste au carré Valérie Dittli. Il est vrai que l’aléa climatique vaudois s’est soldé par des dommages sur les personnes, les activités humaines, et la santé - du PLR – pour reprendre trois points de la définition. Mais à Genève, la brève incartade a jusqu’ici porté ses fruits. Même si, lorsque j’ai rappelé à des ex-PDC leur infidélité aux principes, ils m’ont servi la réponse classique du vaudeville «ce n’est pas ce que tu crois». Si, pourtant.
Avoir au moins sa conscience pour lui, comme dirait une rombière de haute vertu
Pour ces municipales, le PLR a poussé le puritanisme des valeurs plus loin encore afin d’avoir au moins sa conscience pour lui, comme dirait une rombière de haute vertu. Pas question de fricoter avec l’UDC si c’est pour s’aliéner le Centre. J’ai vu fleurir sur la Toile de bien beaux textes, dédaigneux d’un succès qui aurait été dû à une absence de mise en conformité idéologique. Pourtant, soyons sérieux, les sujets de dissension à droite ne figurent pas dans les compétences des communes. On voit mal des représentants de la Ville envisager des dingueries nationalistes, comme fermer la frontière ou raccompagner les illégaux à Cointrin.
Il faut donc conclure que la conquête d’un deuxième siège n’était pas une priorité, ni pour le Centre, satisfait de la politique de gauche en Ville, ni pour le PLR, pas suffisamment musclé pour renverser la table. Au moins sera-t-il resté attaché à la liberté qu’il chérit. En l’occurrence, celle de perdre.
S’y loge une forme de bravade que la machine de guerre gauchiste devrait envier aux troupes mutines de droite. La chose est improbable, car l’axiologie de la gauche ne permet pas cette licence. Ou alors il va encore neiger. Mais comme c’est à cause du dérèglement climatique, elle dira que ça ne compte pas.