Lugon sans permission: les Verts ou «les Infortunes de la vertu»
Le voyage de Céline Vara à Oman a fait polémique, celui des maires genevois à Copenhague fait suer les plus dogmatiques... Ou comment la morale en politique ressemble à une religion.
La religion connaît un retour en grâce, et pas uniquement sur la place Saint-Pierre à Rome. En politique aussi. L’inconvénient, c’est qu’elle impose un dogme, une morale et des sanctions. Si on contrevient à la seconde, ni la bigoterie ni l’excuse ne sauraient exempter le pécheur des troisièmes. C’est ce qui est arrivé à la fraîchement élue conseillère d’État neuchâteloise Céline Vara.
Il a suffi d’un malheureux voyage carboné en avion dans un sultanat bourré d’or noir et moyennement soucieux des droits humains pour qu’elle subisse une correction politico-médiatique magistrale. Quelle cruauté à l’égard d’une disciple écolo qui préparait depuis deux ans une escapade pour admirer les tortues marines! Sachant qu’un séjour dans un hôtel de luxe, avec guides locaux sous-payés vous conduisant diligemment en minibus, requiert des mois de préparation.
Sa candidature au martyre a eu raison de mes bons sentiments passagers
Non contente de livrer cette excuse béton, Céline Vara a contre-attaqué avec deux arguments imparables. Primo, le sexisme: femme égale victime; femme écologiste égale victime au carré. Cette justification possède le double avantage de conforter les faibles femmes dans leur prétendu statut de victime, tout en flattant les mâles protecteurs qui sommeillent encore dans les hommes progressistes. Deuxio: le respect de la vie privée. Je note en passant qu’elle a été défendue principalement par des élus de droite, de Mauro Poggia à Cyril Aellen, une posture délicieusement jésuite visant, selon moi, à démontrer la supériorité morale d’une philosophie politique basée sur la liberté et la responsabilité individuelle. Vara a dû en mourir de dépit. J’ai failli aussi céder à la tentation de la défendre, son inconséquence si humaine me l’ayant rendue sympathique. Mais sa candidature au martyre a eu raison de mes bons sentiments passagers.
Chez les catholiques, on peut pécher le vendredi et se confesser le dimanche. Dame Vara l’eût-elle fait en manière de métaphore qu’elle s’en serait tirée avec deux «Pater noster» et l’absolution de Sainte Lisa. Et il ne se serait trouvé que des représentants fanatiques du Dicastère pour la Doctrine de la foi pour condamner au nom du devoir d’exemplarité - encore un argument de grenouille de bénitier qui finit noyée au fond du marbre glissant.
Ceux qui ne succombent pas à la tentation et ceux qui se flagellent par désir d'afficher leur pureté
Mais une autre affaire, genevoise évidemment, fait passer le voyage de Céline Vara pour un péché véniel. Comme chaque année, les maires des 45 communes du canton partent en goguette ce week-end, afin de resserrer les liens qui les unissent forcément. Or, il faut compter avec des défections. Le voyage ayant pour destination Copenhague, huit maires écolos sur douze ont renoncé à monter dans l’avion, contre-indiqué par la morale. Le très pieux Alfonso Gomez, pourtant vice-président de l’Association des communes genevoises, fait partie des abstentionnistes.
S’il y a ceux qui ne succombent pas à la tentation, il y a ceux - encore plus fort - qui se flagellent par désir d’afficher leur pureté: ainsi, les élus verniolans Martin Staub, socialiste, Mathias Buschbeck, Vert, et Gian-Reto Agramunt, PLR (fraîchement converti, probablement), ainsi que deux autres élues hors parti, vont user leurs céans en train, soit 37 heures aller-retour. Servent-ils la cause climatique alors qu’un avion Swiss a été affrété pour l’occasion? Non. Servent-ils leurs administrés? Pas davantage. Sont-ils candidats à la canonisation? Mystère.
Le cours de «l’indulgence plénière», qui a évolué durant les siècles, se fixe désormais en heures de train expiatoires.
Si, dans le renoncement à l’avion au détriment de la politique, on lit un entêtement dogmatique, on décèle dans la pirouette du chemin du fer un étalement d’orgueil grotesque. Ici, l’intransigeance est poussée à son point culminant, puisqu’il s’agit de payer de sa personne pour la défense des principes. Le cours de «l’indulgence plénière», qui a évolué durant les siècles, se fixe désormais en heures de train expiatoires. Encore un peu et on confinera à l’Opus Dei.
Les écologistes n’ont jamais interdit l’avion, rappelle Céline Vara, pas plus que la viande ou le masculin générique, ajouté-je. Ils ont fait plus subtil: culpabiliser les foules en offrant d’eux-mêmes un récit immaculé, si possible avec pénitence ostentatoire. C’est le combo qui mène à la domination morale. Il va de soi que seules les sociétés nanties se permettent le luxe du renoncement. Ce trait remplace l’exigence de tempérance et de charité des temps anciens et fait figure de nouveau signalement de vertu.
Sinon, Genève a appris avec chagrin que la conseillère nationale Verte Delphine Klopfenstein n’était pas candidate à la succession Hodgers. Pourtant, elle paraissait suffisamment armée idéologiquement. Jugez-en plutôt dans un post publié jeudi. Soutenant Nicolas Walder, elle utilise les points médians en parlant à la première personne: «J’en suis convaincu·e, (…) à Berne plus motivé·e que jamais.» Voilà qui est musclé. Peut-être un peu exagéré, tout de même, puisqu’elle corrigera un peu plus tard, ôtant l’épicène à «convaincue», mais l’oubliant à «motivé·e». Amen.