Lugon sans permission: répétez après moi OSAIEGCS-LGBTIQ
Sous l’égide de l’État, on a agrandi le sigle LGBTIQ pour mieux inclure. En réalité, en voulant agréger, on disloque le genre humain.
Vous aviez appris à retenir le sigle LGBTIQ et à le prononcer sans accrocs? C’est bien, mais il faudra faire mieux. Depuis quelques semaines, le sigle a officiellement changé. Nous devons désormais dire OSAIEGCS-LGBTIQ. Pour «orientation sexuelle et affective, identité et expression de genre, caractéristiques de sexe - lesbienne, gay, bi, trans, intersexe, queer». A la réflexion, mieux vaut mémoriser l’acronyme. Même s’il ressemble à un juron du capitaine Haddock lorsqu’il a épuisé les bachi-bouzouks et qu’il éructe un chapelet de consonnes en lévitant de rage.
Ainsi en ont décidé des chercheurs en sociologie et spécialistes des diversités et de l’inclusion romands. Et les consignes des experts ne se discutent pas. Désormais, leur délicieux jargon est en vigueur dans les cantons de Genève, Neuchâtel, Valais et Vaud ainsi que dans les villes de Fribourg, Lausanne et Genève, à l’occasion de la création de la Conférence romande OSAIEGCS-LGBTIQ. Que fait cette Conférence? Elle réunit de temps à autres des gens issus des Bureaux de l’égalité et payés par nos impôts, qui devisent des moyens de lutte contre les violences et discriminations, des façons d'améliorer l’inclusivité des prestations publiques et de la sensibilisation du public. La règle des quatre «P» (J’ai droit moi aussi à jouer avec l’alphabet): Prévention, Pugilat, Promotion, Propagande.
Mais revenons à l’intitulé de cette Conférence romande. S’il faut ajouter à l’acronyme original une ribambelle de lettres, c’est pour se conformer aux manières du Conseil de l’Europe et de l’ONU. Les chercheurs expliquent, dans la revue d’information sociale romande Reiso, que «le sigle LGBTIQ touche à ses limites en matière de représentativité». Plein de monde ne s’y retrouverait pas. Selon un expert onusien cité, «c’est le cas par exemple des identités bispirituelle (Amérique du Nord), muxe (Mexique), hijra (Inde), kathoey (Thaïlande), bakla (Philippines), travestie (Argentine et Brésil), fa’afafine (Samoa) et leiti (Tonga).» Ces communautés ne doivent pas être très étoffées à Genève, mais ce n’est pas une raison pour les priver d’identification, puisqu’on nous dit «qu’elles ne se retrouvent pas nécessairement ou pas parfaitement dans l’une ou l’autre notion» de l’ancien sigle.
Les discussions autour du sexe des anges ne coûtent rien, juste le prix de quelques cafés quand ses représentants vont baguenauder à Lausanne ou Neuchâtel
Le département de Nathalie Fontanet, dont dépend le Bureau de promotion de l’égalité et de prévention des violences, ne pouvait pas demeurer dans l’ignorance du côté limitatif du sigle initial. Aussi fait-il commerce du nouveau logo concocté par les publicitaires de l’inclusion. Doté d’un budget confortable et en constante augmentation (8,9 millions cette année contre 6,5 millions en 2023), ce Bureau pouvait bien se mettre aux normes. Mais qu’on se rassure! Renseignement pris, cet argent est dévolu à la lutte contre les violences domestiques, en particulier le financement de foyer d'hébergement de victimes. Les discussions autour du sexe des anges ne coûtent rien, juste le prix de quelques cafés quand ses représentants vont baguenauder à Lausanne ou Neuchâtel.
Pourtant, cet expansionnisme idéologique se joue bien sous l’ombrelle de l’État. Essentiel à la démocratie, le militantisme ne devrait pas y trouver l’hospitalité. C’est antinomique. Sauf à imaginer que ces militants y opèrent de l’entrisme, non identifié comme tel par les pouvoirs publics pétris de bons sentiments. Au passage, je note l’incohérence de ces activistes qui, prétendant à une violence systémique, s’abritent courageusement au cœur du système qu’ils entendaient contester.
À pousser l’identité individuelle à ce paroxysme, on devrait aboutir tantôt à une lettre par terrien
Mais revenons à l’esprit de ces 14 lettres. En renforçant le sigle de huit nouveaux caractères, on vise l’inclusion, nous explique-t-on. Pourtant, chaque lettre posée est un acte d’exclusion d’une lettre ignorée. C’est un fait que les chercheurs ne pourront pas contester, puisqu’avant l’ajout en question, tous les OSAIEGCS se sentaient exclus par les LGBTQI. Quand on y pense, c’est vertigineux. Car à pousser l’identité individuelle à ce paroxysme, on devrait aboutir tantôt à une lettre par terrien. Il faudra alors convoquer toutes les langues, ressusciter celles mortes, leurs écritures, leurs hiéroglyphes, afin d’honorer aussi l’identité des mânes, dans un final glorieux.
Avant l’avènement des docteurs du genre, on avait trouvé une solution, somme toute pas idiote. On parlait tout bêtement du genre humain. Le mot «inclusion» n’existait pas dans cette acception du terme, et pourtant cette notion rendait mieux compte de l’essence que la fragmentation en groupes distincts. Désormais, on agrège, mais on disloque, en refusant nuance et complexité.
«Un bon gay est un gay de gauche»
Voyez la marche des Fiertés, samedi dernier à Genève. Sympa, coloré, bon enfant, festif. Jusque-là, tout va bien. Mais à y regarder de plus près, on constate le détournement de la manifestation vers d’autres objets de lutte. Le cortège s’affiche aussi anticapitaliste, propalestinien, contre les riches ou le patriarcat. Un ami gay me confiait: «Je suis de droite, je ne m’identifie pas à ces combats et ne suis plus le bienvenu. Car un bon gay est un gay de gauche. La communauté est fracturée, dis-le!» C’est dit.
Sinon, je songe à créer le groupement «Je est un autre», en hommage à la sagacité de Rimbaud.