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Noël, et puis m...

25.12.2024 12h56 Rédaction

poncet

En cette période de fêtes, l'avocat Charles Poncet y va de son souhait. Joyeux Noël.

Âgé d’une trentaine d’années, fatigué, l’homme chemine d’un pas un peu lourd. L’agneau qu’il porte sur les épaules lui tient chaud mais il lui pèse visiblement. L’homme s’appuie sur un bâton de berger, son chien est resté avec le troupeau; un garçonnet l’a suivi et trottine à ses côtés. C’est son fils, qui a dix ans. L’enfant tient en main un fromage de brebis, enveloppé dans une feuille d’érable, offrande d’un pauvre à plus pauvre que lui encore. Tous deux vont vers un groupe qui s’est réuni à quelque distance et dont émane une lueur étrange, une sorte de halo.

«Tiens-toi bien» dit le père. L’enfant se redresse dans la nuit froide, percevant ce vers quoi il marche: un murmure de voix va jusque à lui. Ce qu’il entend, c’est sa langue, l’araméen que parlent ces bergers, ces artisans, ces travailleurs journaliers, cette coalition de besogneux, attirés par cette lueur, ce brasillement étrange qui ne scintille pas, mais qui les appelle, les attire, tous sentant confusément qu’il y a là un événement qui restera unique dans leur pauvres vies.

Devant eux une crèche. La crèche c’est la mangeoire à bestiaux le long du mur de l’étable, on y met la pâture du bétail normalement, mais celle-ci contient de la paille. On y discerne une petite forme abritée du froid tant bien que mal par une jeune femme, penchée vers ce que l’enfant tout juste arrivé discerne à peine: dans ce berceau improvisé est un nouveau-né, qui ne pleure pas, qui joue avec ses orteils, gazouille et s’amuse du souffle d‘un âne sur lui comme si rien de ce monde ne pouvait l’affecter.

Gardiens d'une civilisation

L’enfant s’approche, quête d’un regard l’approbation de son père, puis dépose son fromage de brebis aux pieds du berceau. Saisi d’une émotion soudaine, le berger met un genou à terre, s’incline devant le nouveau-né, aussitôt imité par les démunis qui l’entourent, saisis eux aussi et tous pris d’un émoi qu’ils ne savaient pas pouvoir éprouver, une onde de paix, qui se répand en eux, à travers eux et les laisse silencieux, fascinés, absorbés, entendant en eux-mêmes un son et une voix venus d’ailleurs, qui rythment le souffle du nouveau-né et leur susurrent avec douceur : Shlama ba-ara'a le-bney nasha d'tuvana qu’on traduira bien plus tard par pax in terra hominibus bonae voluntatis et plus tard encore par «paix sur la terre aux hommes de bonne volonté».

A quelques lieues de là, le regard fixé vers une étoile, trois nobliaux venus d’Orient cheminent lentement vers l’étable qu’ils atteindront dans quelques jours. Abimélech, Ochozath et Phicol deviendront au fil des siècles Balthazar, Melkon et Gathaspa, puis finalement Gaspard, Melchior et Balthazar. Ils apportent de l’or, symbole de la royauté, peut-être de l’ambre jaune d’ailleurs, de l’encens, indice de la divinité et de la myrrhe, le parfum qui servait jadis à embaumer les morts.

Cet enfant qui gazouille, ce bébé vers qui marchent les rois mages, ne sait pas la terrible épreuve qui l’attendra à l’âge adulte, à moins qu’il ne s’en préoccupe pas car il est d’un autre monde, ce nouveau-né porte en lui un message universel, une vérité de tous les temps, révélée dans la froideur de cette nuit-là et qui, de cette étable, déferlera sur le monde entier, se jouant des siècles, fractionnée parfois au gré de querelles humaines, mais intangible dans sa substance. Du message universel de cet enfant naîtra une civilisation. Nous en sommes issus. Nous en sommes les héritiers. Nous en sommes les gardiens. Ne l’oublions pas. Joyeux Noël.

Et à ceux qui veulent désacraliser Noël, en faire une célébration laïque, fade et incolore, ennuyeuse, bannissant jusqu’à son nom, interdisant les crèches, savez-vous ce que je leur dis?

Et bien je ne leur dis rien, car c’est Noël précisément. Pax in terra hominibus bonae voluntatis.