On se lève et on se castre!
Le sexisme est considéré par certains comme un problème massif «qui tue et coûte des milliards». Sylvain Thévoz appelle à la castration pour y remédier. Yves Nidegger dénonce une «caricature de vieux marxiste».
Plus de 25 femmes meurent assassinées en Suisse par an, c’est plus d’une toutes les deux semaines. 99.9% des crimes sont commis par des hommes. Une femme sur deux reconnaît avoir été victime de harcèlement ou de comportement sexiste au cours de sa vie. Les statistiques des violences conjugales sont dans le rouge. Elles ne reflètent que la pointe émergée de l’iceberg.
Le sexiste est aussi nuisible que le raciste. S’en prendre à une autre personne en raison de la taille de sa poitrine est aussi immonde que de le faire en raison de la coloration de sa peau. Cela détruit des milliers de vies, faute à la complicité passive des hommes qui perpétuent un héritage de violence et de machisme. «Si elle me quitte, je la tue» ou «Je l’aime à mourir» sont des hymnes morbides, la preuve que même le romantisme est une arme de guerre au service d’une tradition glorifiant la torgnole et le viol, la possessivité et l’emprise, afin de réduire les femmes au rang de faire-valoir.
Voilà ce qu’est notre héritage à nous les hommes: l’abus. Nous avons une immense peine à nous en désaccoutumer. Malgré les mouvements féministes, l'écrasante majorité des hommes pensent encore qu’ils viennent de mars et que leur compagne doit retourner à la cuisine. Et puisque même l’abbé Pierre, les prêtres, les médecins abusent des femmes, quelle confiance avoir encore dans les hommes et leurs bonnes paroles?
Quotidiennement des femmes se font frapper, tuer, harceler, violer et cela uniquement parce que «femmes». Cela devrait profondément révolter les frères, pères, cousins, copains, voisins, non? Or, on s’en accommode, silencieusement, tacitement. À chaque nouveau féminicide, on devrait descendre dans la rue et crier «pas en notre nom», se sentir coupables collectivement, condamner les violences, mais il ne se passe presque rien du côté des hommes. Pourquoi ? Pourquoi c’est mou et ça se débine entre le bistrot et le boulot, mettant en doute la parole des victimes pour leur nuire davantage.
Elle est bien ancrée la complicité lâche, la vieille solidarité de boys band, d’esprit de vestiaire, de caserne ou de Conseil d’administration. Si Yannick Buttet, condamné pour harcèlement sexuel, a pu être nommé à la Chambre valaisanne de tourisme, c’est que là-bas comme ici, la coutume de la domination est profondément gravée dans le cœur.
À Genève, les cercles privés réservés uniquement aux hommes ont pignon sur rue. Sous couvert de traditions, on y cultive l’entre-soi masculin et la manie militaire. Ces congrégations masculinistes sont remplies de vieux bougres aux blagues salaces qui trouvent, dans le silence ou l’assentiment de leurs pairs, des raisons de légitimer leurs comportements déviants.
Il y a trop de jeunes hommes qui s’entraînent à l’armée à tirer avec leur fusil d’assaut, puis le ramènent glorieusement à la maison avec douilles et galons pour cartonner leurs copines et les cours de répét’ préparent avant tout au passage à l’acte. Il y a trop de jeunes coqs distribuant des gnons. Insécures et fragiles, inquiet pour leur taux de testostérone, ils caquettent sur TikTok pour se persuader d’appartenir à une race supérieure.
Que font les hommes alors pour lutter contre la culture de la picole et de la vitesse? Pour ne plus ériger les comas éthyliques et bagarres de rue en rite de passage virils, voire en conquêtes glorieuses, récompensées d’accolades aussi toniques que ringardes de la part de leurs collègues et amis? La presse parle encore de «drame» ou de «conflit de couple» quand une femme se fait assassiner.
La domination structurelle est niée. Comme au Moyen Âge, elle se colore de sang quand la personne dominée veut s’émanciper. Il faut se rendre à l’évidence, les plus gros problèmes sociaux actuels viennent de nous, les hommes. À quand de vrais programmes et examens éducatifs pour éviter les passages à l’acte et soigner les mâles de leurs masculinismes tordus? Tout homme avant de passer un permis de conduire, devrait y être soumis obligatoirement.
Car on n’en peut plus de cette fausse virilité qui bousille des femmes, des familles, des enfants. Marre de cette violence lâche qui se cache derrière les portes, se loge dans toutes les professions, frappe toutes les classes sociales et reste encore socialement tolérée, voire glorifiée par les hommes entre eux.
On n’a pas plus besoin de testicules à pâte molle ou mi-dure que d’amygdales pour vivre. Alors si rien ne change, voisin, cousin, copain, et si vous croyez vraiment que votre virilité se loge dans vos deux petites précieuses noisettes, je propose une chose pour que la société aille rapidement beaucoup beaucoup mieux: on se lève et on se castre!
Yves Nidegger: «L’appel à la castration générale lancé par Monsieur Thévoz est à la fois toxique et tardif»
«On n’en peut plus de cette fausse virilité», s’exclame Monsieur Thévoz, qui à défaut de pouvoir dire et encore moins incarner ce que serait une vraie virilité, s’en trouve réduit à appeler ses semblables à la castration générale, sachant bien, le pleutre, qu’il ne risque rien à inciter publiquement à la mutilation des organes génitaux masculins dès lors que l’art. 124 du code pénal n’interdit, en la sanctionnant de 10 ans de prison, que la mutilation des organes génitaux féminins. Preuve, sans doute, que le Parlement fédéral n’est rien d’autre qu’un repère de «congrégations masculinistes»...
L’appel à la castration générale lancé par Monsieur Thévoz est à la fois toxique et tardif.
Toxique car il n’y a rien à attendre de la lutte des classes, nous le savons bien, qu’un déferlement de violences arbitraires, apocalyptiques s’il s’agit de dresser l’une contre l’autre les deux moitiés de l’humanité auxquelles chacun d’entre nous doit sa propre naissance.
Tardif car la castration qu’il appelle de ses vœux est déjà advenue. Où étaient les hommes cette nuit froide du 31 décembre 2015 à Cologne lorsque 1'500 requérants d’asile organisés ont ciblé les femmes dans la foule rassemblée sur le parvis du Dôme pour le nouvel an, avant de les agresser sexuellement et de les dépouiller systématiquement (1’200 plaintes, dont 513 pour agression sexuelle et deux pour viol)? Ils étaient là les hommes allemands. Ils composaient la même foule, mais castrés et déconstruits, comme les aime Monsieur Thévoz. Ils s’appliquaient à regarder ailleurs, de peur qu’un geste protecteur de leur part ne fût interprété comme l’affirmation d’une possession ou la séquelle d’une croyance archaïque selon laquelle les femmes auraient besoin, parfois, de la présence d’un homme.
Monsieur Thévoz est la caricature de ces vieux marxistes qui ne veulent pas mourir avec leur béquille idéologique discréditée par le goulag et les catastrophes sociales, économiques et écologiques chroniques. Ces apôtres de la haine de classe pensent faire illusion en répudiant leurs anciennes idoles russes et chinoises et en remplaçant dans leur discours archétypique la bourgeoisie capitaliste par la masculinité toxique et le prolétariat des travailleurs par les femmes battues.
Espérant porter la lutte finale à son paroxysme apocalyptique en jetant une moitié de l’humanité contre l’autre, ces adorateurs de l’amalgame et du stéréotype distillent sur nos ondes un catéchisme haineux fait de clichés, de préjugés, de généralisations et de chiffres bidonnés en se permettant d’exiger de chacun qu’il choisisse son camps à l’intérieur de leur prêt à penser simplet. Monsieur Thévoz a choisi le camps des castrés, et vous?