Patek, les cadors de Fedpol et l’artificier
La police fédérale patine dans son enquête sur les colis piégés. C’est la dure loi de la répartition des compétences entre cantons et Confédération. Genève s’en passerait bien, sur ce coup-là.
Parmi toutes les calamités auxquelles font face les habitants du bout du Lac – extinction provisoire de la compagnie des pompiers de Chêne-Bougeries, ombre redoutable du deuxième acheteur planant sur la villa Zep, autoritarisme de Nathalie Fontanet envers les enseignants – il en est une, sérieuse, sinistre, qui oblige les Genevois à envisager le fatalisme sous contrainte. A savoir vaquer à ses occupations en espérant qu’une vraie bombe ne vous explose pas à la figure.
Voyant à regret la tradition des feux d’artifice sur la rade disparaître pour raisons écologiques, les résidents du canton sont livrés depuis le mois d’août aux caprices criminels de quelque artificier déposant des colis piégés, dans un sac poubelle, une boîte à lettres, une fiduciaire. Pas de quoi nous inquiéter, nous dit-on, puisque les cadors de Berne ont pris l’affaire en mains dès le premier jour. Justement, c’est cela qui nous chagrine. Car les brillants éléments de Fedpol n'ont amené aucun résultat, et ça continue de péter.
Ces engins minés visent les employés de la manufacture horlogère Patek Philippe, soumise à des demandes de rançons astronomiques en cryptomonnaie assorties de menaces de mort. Mais le champ d’action des poseurs de bombes est potentiellement plus large. Depuis le mois d’août, deux personnes ont été blessées, dont une adolescente qui relevait le courrier dans son immeuble.
Quand les grosses bottes du FBI débarquent dans une affaire horrifiante pour dessaisir la flicaille locale de l’enquête, laquelle va cependant résister et l’emporter dans un final glorieux
Assez rares sont les occasions où les scénarios de films policiers américains sont transposables chez nous. Je pense à ceux où les grosses bottes du FBI débarquent dans une affaire horrifiante pour dessaisir la flicaille locale de l’enquête, laquelle va cependant résister et l’emporter dans un final glorieux. Toutes choses égales par ailleurs, c’est le parallèle un poil caricatural qu’on peut tirer de l’affaire des colis piégés à Genève.
L’enquête en effet revient à la police judiciaire fédérale, dès lors qu’usage d’explosifs il y a. Cette compétence remonte à la fin du XIXe siècle, lorsque menaçaient les «menées anarchistes». On croit pouvoir affirmer que ce péril est derrière. Si la loi a survécu malgré cette disparition, mieux vaut la considérer comme inaltérable.
Sauf que, dans le cas qui nous occupe, les auteurs poursuivent gaillardement leur entreprise criminelle à la barbe du Ministère public de la Confédération. Les fins limiers de Fedpol se sont d’abord fourvoyés sur une fausse piste en embastillant avant Noël deux frères qui n’avaient, semble-t-il, rien à se reprocher, puisqu’ils ont été libérés. Le second était encore à l’ombre lorsque, il y a quelques jours, un troisième colis piégé déposé dans une fiduciaire œuvrant pour Patek Philippe a pu être neutralisé. Et toujours pas de suspect. A moins qu’il ne s’agisse d’une suspecte, croit savoir la RTS, qui révèle que l’ADN d’une femme blonde aux yeux bleus aurait été retrouvé dans une enveloppe envoyée à l’horloger. De quoi pimenter l’affaire.
On nous assure que Berne s’appuie sur la police cantonale et que cette collaboration est satisfaisante. Au vu des résultats, je n’ose imaginer ce qu’il en serait dans le cas contraire. Aussi chacun, à Genève, nourrit-il des doutes. Et ce n’est pas à cause d’une disposition d’esprit rebelle et rétive au centralisme qu’il faut les attribuer. Mais au bon sens, postulant que les mystères locaux sont plus aisément dissipés par des gens du cru. Le potentiel explosif ne réside pas uniquement dans les pétards meurtriers, mais aussi dans une enquête qui patine, mettant à mal la sécurité publique.
La répartition des tâches entre cantons et Confédération tient de la mécanique de précision. Elle a fait des confettis cantonaux un ensemble cohérent et fonctionnel autour du siège de la société mère. La Suisse, c’est une machine à Tinguely. Mais sur ce coup-là, elle déraille, coince et pétarade. Je ne pense pas qu’il soit déplacé de le faire savoir aux sieurs de Berne. S’ils devaient renoncer à leurs prérogatives pour une fois, personne ne leur en voudrait.
Et sinon, n’allez pas leur dire que l’hôtel des Bergues était en flammes mercredi soir. Ils mettraient trois semaines à s’assurer que des employés de Patek Philippe n’y dînaient pas.