Opinions

Plutôt nue qu'en burkini

25.01.2025 07h00 Laure Lugon Zugravu

Interdire le burkini dans les piscines du canton? C’est non, a dit le Parlement jeudi. Une partie de la droite n’a pas suivi le projet de l’UDC, au prétexte de respecter l’autonomie des communes. Mais en réalité par lâcheté.

Ô joie. Barboter en maillot synthétique intégral restera possible dans les piscines du canton. Ainsi donc, une liberté nouvelle s’offre aux femmes qui ont compris que soustraire leurs corps aux regards était l’expression ultime de la puissance et de l’égalité.

Ainsi en a décidé jeudi le Grand Conseil, dont on rappelle qu’il est considéré comme étant majoritairement de droite. Il a balayé une proposition d’interdiction du seyant burkini formulée par l’UDC islamophobe. La gauche peut se rassurer. Avec cette droite-là comme adversaire politique, elle gagnera à tous les coups par forfait sur les sujets de société périlleux.

Il faut dire que l’UDC a commis la maladresse, en tricotant son projet de loi, d’inclure les bassins de natation établis sur les terrains privés mais payants, autrement dit les hôtels et spas. Pour autant, cette nigauderie n’a pas pesé lourd dans les débats. Le Parlement a préféré ergoter sur des arguments de détail – autonomie des communes, pratique vestimentaire peu usuelle, absence de problèmes de sécurité, considérations sur la matière du costume et l’hygiène. Autant de détours insignifiants pour ne pas avoir à aborder le sujet de fond: la tolérance envers le communautarisme et la soumission des femmes.

Il se passa donc ce qu’il devait se passer: l’UDC n’a pas réussi à convaincre le reste de ce qu’il reste de la droite. A la notable exception du Centre, qui l’a suivi sur ce terrain glissant, honneur à lui. Et à une partie du PLR. C’est de l’autre dont j’ai à vous parler. Les virtuoses de l’entrechat discursif.

Ces derniers ont donc plaidé l’autonomie communale. Difficile de trouver figure de style moins convaincante, destinée à masquer la lâcheté. J’aurais préféré que le parti bourgeois s’aventure à résoudre l’équation philosophique que le burkini lui fournissait: faut-il que la liberté individuelle soit restreinte quand elle porte atteinte aux valeurs qu’elle est censée défendre? En lieu et place, on nous a servi des arguties juridiques et des considérations vestimentaires sur l’équivalence possible entre burkinis et T-shirts antisolaires. De la grande politique.

Les bourgeois feignent de croire que les questions sociétales ne sont pas politiques. Or l’évolution de la pensée, de la morale et des mœurs a toujours une traduction politique.

Depuis plusieurs années, le parti bourgeois est passé maître dans l’art de l’esquive lorsqu’émerge un sujet sociétal. Aussi désinvestit-il tout un pan du débat public en laissant à l’UDC la basse besogne. Ainsi retranché dans son fortin – l’économie - les libéraux-radicaux attendent que passe l’orage en causant imposition et dividendes. Conséquemment, leur électorat se ratatine: s’il ne reste à la droite libérale que l’économie comme fond de commerce, on n’a plus vraiment besoin de ses services. Car cette dernière a encore quelques ressources pour se défendre toute seule. Avec la FER, economiesuisse et quelques lobbies en appui. J’exagère un peu, mais à peine.

Les bourgeois feignent de croire que les questions sociétales ne sont pas politiques. Or l’évolution de la pensée, de la morale et des mœurs a toujours une traduction politique. Je connais un pays, les Etats-Unis, où le refus de freiner les ardeurs dites progressistes a provoqué le contrecoup réactionnaire que l’on sait. Il en sera de même chez nous si les formations politiques persistent à ignorer les pièges de l’inclusion, pour ne pas risquer de se compromettre avec la droite nationaliste.

Ce calcul d’une partie du PLR a sans doute contaminé les partis genevois à l’humeur labile. LJS, dont l’ossature idéologique m’apparaît pour le moment aussi souple que les articulations d’une poupée en caoutchouc, s’est montré lui aussi très sourcilleux sur l’autonomie communale. Le MCG s’est également réfugié dans cet argument, sans doute déterminé à ne pas froisser sa clientèle balkanique alors qu’il regarde les élections municipales avec appétence.

C’est fou ce que le canton a le souci des communes. En revanche, défendre l’un des acquis du siècle dernier, l’émancipation des femmes, n’était pas à sa portée. Mais je suis injuste: la cause des Iraniennes lui tient à cœur, si si. Sur ce, je vous laisse, j’ai piscine.