Toxiques partout, justice nulle part
Le trafic de déchets illégal pèse 12 milliards de francs en Europe, soit autant que celui du cannabis. Cela ne concerne pas seulement des mafias lointaines. À Genève, ce business puant rapporte beaucoup, beaucoup d’argent.
Les déchets de chantier, démolition et terrassement sont en majorité constitués de matière minérale qui, s’ils ne sont pas pollués, peut être réutilisée directement sur le lieu du chantier. Souillés, il faut les soumettre à un traitement spécial. Voilà pour la théorie.
En pratique, 4 millions de tonnes de déchets sont produites chaque année à Genève. C’est l’équivalent de 200'000 camions de 20 tonnes de 17 mètres de long. Mis bout à bout cela représente une colonne ininterrompue de camions de 3400 kilomètres de long, soit Genève-Moscou, conséquence de la bétonisation outrancière et de la spéculation immobilière sur notre territoire. Aujourd’hui, il y a déjà plus de 400'000m2 de bureau vides à Genève et tous les jours il s’en construit davantage au mépris des besoins de la population, de la nature, et même des lois. Des parkings restants vides sont creusés sous des immeubles de bureaux sans locataire. Ce business sacrifie la nature et hypothèque l’avenir. Pourquoi?
Mais revenons aux déchets. En raison des volumes produits, il est impossible de tout traiter à Genève. Où sont alors exportées les quantités ne pouvant être traitées à Genève? À Grenoble, à Berne ou ailleurs. Ces camions ajoutent de la pollution routière aux nuisances existantes ; et certains passent la frontière de manière totalement clandestine sans destination annoncée. En 2020 une étude transfrontalière chiffrait à 2.4 millions les tonnes exportées. Le Pôle français national de transfert transfrontalier a comptabilisé 1.8 millions de tonnes déclarées à la frontière. Question: où est passé le différentiel de 600'000 tonnes ? – Mystère.
«Partout, nos nappes phréatiques sont souillées»
Des remorques s’évaporent donc dans la nature, d’autres se déversent illégalement sur des terres agricoles avec pour conséquence, des pollutions graves de la nappe phréatique. Des dizaines de milliers de camions passent donc sans autorisation la frontière au nez et à la barbe des douaniers, sans visiblement susciter d’intérêt de la part de la justice car aucune enquête n’est ouverte par le ministère public. Le procureur Jornot qui aime être fort avec les faibles et faible avec les forts ainsi que les douaniers harcèlent Mohamed ou Saïd qui se font désosser leur voiture plaques françaises à la recherche d’un gramme de shit pendant que des camions de 20 tonnes plaques genevoises passent en rigolant la frontière avec des chargements toxiques.
Je ne parle pas ici d’activités de la Camorra ou Ndrangheta, mais de gars bien chez nous. Exemple de pollution locale: La sablière du Cannelet, située en zone agricole. Une entreprise y a accumulé sauvagement gravats, béton, goudron… et d’autres trucs tout pourris? L’entreprise n’avait aucune d’autorisation de traitement des déchets. Grâce au combat de la commune d’Avusy, le Tribunal fédéral vient d’exiger d’arrêter les frais.
L’entreprise a désormais une année pour procéder au démontage des installations et se débarrasser des déchets sur place; et une autre année pour remettre le terrain en état, dépolluer le site et le remettre à l’agriculture. Il n’y a aucune garantie que l’entreprise nettoie sa crasse. Si elle tombait en faillite entre temps, c’est l’État qui passerait à la caisse. La nappe phréatique du Genevois est dans un sale état. Depuis 50 ans on y a exploité du gravier. Des centaines de trous ont été remplis avec des substances toxiques. Il y a du perchlorate dans les nappes phréatiques d’Anières à Chancy. Des masses de PFAS, molécules de synthèse dérivées du plastique dans la zone industrielle de Peney, ça pue aussi chez les parfumeurs le long du Rhône, le long de l’Allondon, autour des citernes de Vernier. Partout, nos nappes phréatiques sont souillées. Qui a contaminé les sols et les eaux, qui paiera leur traitement?
Nous arrivons au bout d’un cycle de 50 ans où la nature était considérée comme une benne à ordures. L’armée a débarrassé ses stocks de munitions dans le lac. Il a été fait n’importe quoi avec les déchets. D’énormes espaces de notre Canton sont profondément et durablement pollués du fait de l’activité d’entreprises avec des conséquences ravageuses sur la santé des habitants. Il faudrait rapidement commencer à assainir et surtout que cessent les pratiques illégales. Quantité de matériaux d’excavation continuent d’être produits et de sales pratiques perdurent.
L’État reste pourtant étonnamment passif sur ce sujet. Serait-ce parce que lui aussi dispose de terrain et est directement concerné ; que cela lui coûterait cher d’assainir ce qu’il a aussi contribué à salir, ou que certains, directement impliqués, ne veulent pas avoir d’ennuis et ferment les yeux? Les cadavres remontent toujours à la surface. La Cour des Comptes a récemment relevé que plus de 300 mandats sensibles étaient mal définis et appelé l’État à la vigilance, évoquant un risque de corruption. Réponse de la Présidente du Conseil d’État: il n’y a pas de corruption à Genève! Cela fait bien rigoler ceux qui s’occupent du traitement des déchets et fait de bonnes affaires pour d’autres. Décidément, le business illégal des déchets est bien puant, mais pourquoi s’arrêterait-il si personne ne veut le sentir?